Les discussions au sujet de l'étude sur la cholécystectomie (ablation de la vésicule biliaire) viennent tout juste de se calmer (cf. d'Land n° 24/01) que le débat sur la qualité des soins médicaux prodigués au Luxembourg et les balbutiements au sujet du contrôle et de la transparence en ce qui concerne la médecine risquent d'être alimentés à nouveau par une histoire qui ressurgit de l'oubli : l'affaire de la contamination au virus de l'hépatite C à la Clinique Ste Élisabeth (cf. d'Land n° 28/99).
Entre le 1er juillet et le 13 octobre 1998, quatre patients qui se sont faits opérer à la Clinique Ste Élisabeth ont été infectés par le virus de l'hépatite C (une maladie du foie qui est mortelle si elle devient chronique ce qui est le cas lorsqu'elle n'est pas diagnostiquée et traitée à temps). Les enquêteurs du Parquet de Luxembourg et la Direction de la Santé ont entre-temps la certitude qu'il s'agit d'une infection nosocomiale, c'est-à-dire contractée lors d'un séjour en milieu hospitalier. Selon les recherches effectuées par l'institut de Virologie de l'université d'Essen en Allemagne, le Centre de référence national en ce qui concerne l'hépatite C, la source d'infection est clairement définie. Il s'agit d'un infirmier-anesthésiste qui, à cause d'une plaie ouverte, avait contracté le virus d'une patiente lors d'une opération et, toujours par le biais de cette même plaie qui guérissait mal, a ensuite transmis l'hépatite C à au moins quatre autres patients. La probabilité d'un pareil mode d'infection est minime lors-que toutes les précautions d'usage, hygiéniques et autres, sont respectées. Que l'infirmier-anesthésiste en question n'ait pas porté de gants lors des opérations est ainsi à considérer comme un manquement. Mais il ne s'agit que d'un cas isolé du non respect des règles sanitaires élémentaires. Le rapport, dont le résumé a été publié dans The New England Journal of Medecine (n° 25, décembre 2000), fait état d'une situation catastrophique en ce qui concerne les dispositions sanitaires et d'hygiène au sein de la Clinique Ste Élisabeth. Les remarques à ce sujet, qui sont en quelques sortes des retombées collatérales de l'étude initiale, sont tranchantes, surtout en ce qui concerne le bloc opératoire : celui-ci a été nettoyé et désinfecté avec un produit inadapté, des seringues ont été utilisées à plusieurs reprises, le port de gants n'y était pas obligatoire, des flacons ont été fréquemment réutilisés...
Ces manquements peuvent expliquer en partie le silence des responsables de la Clinique Ste Élisabeth au début de l'affaire. Car au lieu de communiquer les cas d'hépatite C à la Direction de la Santé, la Clinique a essayé de taire et d'étouffer l'affaire. La loi sur l'exercice des professions de Santé prévoit la déclaration obligatoire des maladies infectieuses ou transmissibles, dont l'hépatite C, aux instances compétentes. Cette obligation ne s'impose qu'au médecin traitant, l'établissement hospitalier en tant que tel n'est pas nommément prévu par la loi. Que les cas d'hépatite C, signalés par les médecins traitants euent été à mettre sur le compte de la Clinique Ste Élisabeth échappait donc à un premier moment aux responsables du ministère de la Santé.
La Clinique Ste Élisabeth a déposé deux plaintes, visant indirectement l'infirmier-anesthésiste - qui fut licencié sur-le-champ et dont le procès intenté contre la Clinique Ste Élisabeth se trouve toujours en instance devant le tribunal du travail - au motif de « vol domestique, sinon vol » et « infractions à la loi du 19 février 1973 concernant la vente de substances médicamenteuses et la lutte contre la toxicomanie » ainsi que pour « coups et blessures volontaires, subsidiairement coups et blessures involontaires ». De commérage en ragot, une fois l'affaire rendue publique par les médias, l'infirmier-anesthésiste était vite devenu le « toxicomane porteur du virus de l'hépatite C qui utilisait les mêmes seringues pour s'inoculer les dro-gues et pour faire les injections aux patients ». Mais, et les études de l'université d'Essen et de la Direction de la Santé l'ont démontré, la vérité est toute autre.
Ce qui est grave, c'est que la Clinique Ste Élisabeth n'a non seulement tu l'affaire aux instances concernées, à commencer par la Direction de la Santé, mais aussi à au moins une patiente infectée. Cette dernière avait subi une intervention orthopédique le 23 juillet 1998, mais ne se remettait pas bien de l'opération. Elle fit faire une analyse sanguine à la Clinique Ste Élisabeth le 14 septembre 1998, sans que quelqu'un ne se préoccupe d'un taux surélevé d'une des valeurs de référence du foie. Début octobre 1998, elle retourna à la Clinique Ste Élisabeth pour le suivi de l'intervention chirurgicale et mit son médecin traitant au courant de l'analyse du sang effectuée. Par deux fois encore, la patiente retourna à la Clinique Ste Élisabeth sans que personne ne l'informe de sa situation, alors que le 22 octobre, la direction de la clinique mit le Parquet au courant de l'affaire en citant nommément les patients infectés, dont la patiente en question. Celle-ci ne sera informée de son état que début février 1999, suite à une nouvelle analyse sanguine réalisée dans un autre hôpital. Pire encore, ce n'est qu'à cause de l'intervention de cette patiente auprès du ministère de la Santé que la Direction de la Santé eut finalement vent de l'affaire et ordonna immédiatement une enquête administrative.
Jusque-là, la Clinique Ste Élisabeth s'était plongée dans un épais silence. En 15 juillet, via un communiqué de presse, qui au su du déroulement de l'affaire, peut être considéré cy-nique, la clinique fit savoir officiellement que cinq patients avaient contracté le virus de l'hépatite C au bloc opératoire de l'établissement hospitalier entre le 19 mai et le 9 juin 1998 et que « la Clinique Ste Élisabeth, consciente de l'épreuve que traversent les patients contaminés, leur exprime sa profonde sympathie et les assure de tout son soutien ». Auparavant, le président du Conseil d'administration de la clinique, le Dr Jean Goedert, à l'époque député chrétien-social, avait fait une déclaration sur RTL Télé Lëtzebuerg où il a menti sur les dates et induit les téléspectateurs en erreur en ce qui concerne les déclarations des cas d'hépatite à la Direction de la Santé. Par la suite, aussi bien la Direction de la Santé que le Parquet - qui a d'ailleurs élargi les plaintes déposées par la clinique au chef de « non-assistance de personne en danger » visant ainsi indirectement l'établissement hospitalier et les médecins impliqués - se sont plaints de la mauvaise foi de la Clinique Ste Élisabeth en ce qui concerne sa collaboration à l'enquête.
L'affaire a aussi connu maintes pressions d'ordre politique. Alors que la Direction de la Santé, lorsqu'elle a inspecté les lieux, avait à un moment compté fermer l'hôpital parce que la sécurité hygénique n'était pas assurée, l'emprise de la politique - et surtout du parti chrétien-social favorable aux hôpitaux congréganistes - sauva in extremis la clinique située près de la place de l'Étoile. Ainsi, la Direction de la Santé « n'a pas trouvé d'éléments qui pouvaient (...) justifier la fermeture de l'établissement hospitalier », sans cependant faire un grand secret des nombreux manquements constatés sur place. Plusieurs blocs opératoires, salles de soins etc. ont ensuite été rénovés en toute hâte, ce que les responsables de la congrégation et de l'hôpital ont présenté comme des « travaux d'entretien tout à fait normaux ».
À l'époque, le projet du nouvel Hôpital du Kirchberg auquel participe la Congrégation des soeurs de Sainte Élisabeth, était dans les feux de l'actualité. Le projet, alors engagé dans les dernières phases des procédures d'autorisation, était un des éléments clef de la vive polémique autour du plan hospitalier. L'établissement jouait de surcroît encore une autre carte, celle de devenir définitivement porteur, avec le Centre hospitalier, de l'Institut national de chirurgie cardiaque et de cardiologie interventionnelle (INCII) qui fut inauguré récemment. L'affaire de l'hépatite C tombait ainsi au plus mauvais moment pour la Clinique Ste Élisabeth, ce qui explique son acharnement de minimiser, voire d'étouffer l'affaire.
En attendant la construction des deux nouveaux établissements, il n'était initialement pas prévu dans les plans financiers de la Clinique Ste Élisabeth d'investir davantage dans les vieux murs. Pour préserver une certaine respectabilité afin de ne pas compromettre les projets énoncés et surtout assurer la continuation des activités hospitalières, des adaptations furent décidées en urgence.
Les « amis politiques » aidant, les affaires, aussi bien celle de l'hépatite C que celle au sujet des conditions hygiéniques au sein de l'hôpital, n'ont finalement pas connu de conséquences sur le plan médical. La Clinique Ste Élisabeth est toujours en activité et elle est un des promoteurs de l'Hôpital du Kirchberg ainsi que de l'INCII.
Mais voilà que l'affaire risque de rebondir en justice. Les patients ayant contracté le virus de l'hépatite C ont tous assigné et la Clinique Ste Élisabeth et les médecins traitants en dommages et intérêts. La huitième chambre tribunal d'arrondissement de et à Luxembourg, dans un premier jugement au civil, a décidé de « [surseoir] à statuer en attendant le résultat de l'action pénale » ; en d'autres termes, d'attendre l'aboutissement du volet pénal de l'affaire avant de se prononcer.
C'est à cause de ce jugement qu'il est apparu que l'enquête pénale n'a plus connu de suite depuis le dépôt du rapport définitif d'expertise, le 24 janvier 2000. En d'autres termes, l'affaire dort depuis un an et demi au cabinet d'instruction.
Ce qui semble arranger certains acteurs, directement et indirectement impliqués dans cette affaire qui ressemble davantage à un scandale politique que médical.