In the Spirit of Diaghilev

Quatre tonalités

d'Lëtzebuerger Land du 04.02.2010

La Villa Sauber exposait l’été dernier 300 œuvres pour inaugurer les festivités autour du centenaire des Ballets Russes de Sergei Diaghilev (1872-1929) sous le titre Étonne-moi !, une coproduction du Nouveau Musée national de Monaco et la Fondation Ekaterina de Moscou en hommage au créateur des ballets russes. In the Spirit of Diaghilev, œuvre de commande faîte par le Sadler’s Wells à quatre chorégraphes de renom international en hommage au fondateur des Ballets Russes était programmé le week-end dernier au Grand Théâtre de Luxembourg.

Sergei Diaghilev résonateur de talents a en effet marqué son époque en cré-ant un pont entre toutes les disciplines artistiques et en permettant à des jeunes talents, futurs grands noms de leurs disciplines respectives de collaborer sur des projets communs. Nijins-ki, Cocteau, Picasso, Derain, Laurencin, Miro, Braque, Benois, Bakst, Satie, De-bussy, Prokofiev etc. ont ainsi participé au travail créatif des Ballets Russes.

Jubilation et effervescence artistique, les créations respectivement signées par Wayne McGregor (Dyad 1909), Russel Maliphant (AfterLight Part 1), Sidi Larbi Cherkaoui (Faun) ont reçu un accueil chaleureux du public. La soirée s’annonçait si merveilleuse… Désertion de la salle par certains, le parti pris de Javier De Frutos (Eternal Damnation to Sancho and Sanchez) de relever le défi lancé par Diaghilev à Cocteau Étonne-moi aurait pu être plus subtil. En revanche, le fait de rendre hommage à cette période en créant lui aussi une provocation au XXIe siècle a fonctionné.

Imaginez un décor de culte religieux qui symboliserait à la fois Rome et le Marquis de Sade dans une ambiance digne du Nom de la Rose et avec utilisation immodérée d’hémoglobine… Un Pape bossu, des sœurs enceintes et des prêtres obsédés se livrant à des scènes de violence et de sexe sur la Valse de Ravel, telle était la provocation ! Offensif et parfois drôle, la chorégraphie, bien que très structurée et intelligemment documentée sur le rapport ambivalent de Cocteau avec l’église catholique, laisse une insatisfaction quant à la danse elle-même. Présentée en clôture, elle a été boudée par le public.

Dommage que le rideau soit tombé après quelques applaudissements alors qu’il y aurait eu place à un rappel des danseurs de tous les projets présentés lors de cette soirée pourtant si merveilleuse…

Performances de Wayne McGregor et de Russel Maliphant, lesquels proposaient respectivement un regard sur la virtuosité graphique et la technicité musicale et l’autre sur la fluidité du mouvement. La danse, art total et collectif a très bien été restitué par Wayne McGregor. Science, technicité, les mouvements des danseurs inspirés de l’expédition d’Ernest Shackleton, l’une des principales figures de l’âge héroïque de l’exploration en Antarctique. En janvier 1909, année de création des Ballets Russes, il établit avec trois compagnons, un record avec une marque à 88° 23’S, soit à près de 100 miles du pôle Sud.

La danse est méticuleusement mise en place, dans une scénographie éblouissante sur une musique d’Ola­fur Arnalds. Les installations électrisantes des artistes vidéo réputées Jane et Louise Wilson restituent tour à tour le voyage, le traumatisme et le délire. Clins d’œil à la période cubiste, la géométrie et la symétrie des décors et des mouvements renvoient à la modernité des Ballets Russes. Dyad 1909 se situe incontestablement à la croisée des arts.

Distinction particulière pour Afterlight Part 1 de Russel Maliphant et pour le solo de 17 minutes confié à Daniel Proietto. Le chorégraphe et le danseur parviennent à mêler classique, contemporain, yoga et arts martiaux pour évoquer et incarner Nijinski dans une interprétation époustouflante de tours et de gestes souples, amples, retenus et précis très exigeants et sans répit. La qualité du travail sur la lumière de Michael Hull présent aussi dans Dyad 1909 valorise la fluidité des mouvements en spirale effectués sur la musique des Gnossiennes de Satie.

Bémol enfin pour Cherkaoui dans Faun, lequel, en traitant de l’animalité empruntée à la figure du faune, s’est comporté en bon élève appliqué et doué mais en retrait quant à une prise de risque artistique. Or s’il réinvente avec son talent habituel le Prélude à l’après-midi d’un faune, œuvre de Debussy composée à partir d’un poème de Mallarmé, il y a une sensation de facilité dans son choix. Les Ballets Russes avaient créé le scandale à cause d’un Nijinsky à l’érotisme trop assumé, Cherkaoui opte pour la grâce consensuelle. La provocation et le scandale ne sont plus au rendez-vous.

Quatre chorégraphies, quatre tonalités différentes entre travail de collaboration, perfection du mouvement, animalité et provocation, certains ne sont pas parvenus à déjouer le langage de l’art du moment et à détruire les formalismes et la quiétude du confort intellectuel et artistique du mouvement. Des passages très beaux, mais très peu de nouveauté bouleversant l’esthétique de notre époque. In fine, lors de la conceptualisation de ce projet, il eut été certainement très pertinent de solliciter des chorégraphes femmes. Leur regard et hommage sur cette période des Ballets Russes, qui a aussi marqué la fin de la suprématie de la danse au féminin aurait certainement été très intéressant.

Emmanuelle Ragot
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