Les occasions de sortir d’un théâtre en ressentant l’exquise petite douleur abdominale, conséquence d’un fou rire prolongé, sont assez peu fréquentes pour ne pas en profiter jusqu’au bout. C’est en l’occurrence une de ces expériences qu’offre le Théâtre ouvert de Luxembourg (Tol) à son public en mettant en scène une pièce éponyme du sulfureux chef d’œuvre de Gustave Courbet, L’Origine du monde...
Un intérieur coquet, qui servira de cadre constant à ce huis clos burlesque au rythme effréné... Jean-Louis ne se sent pas bien, quelque chose cloche : son cœur s’est arrêté de battre. Pourtant l’homme est bien en vie, il hurle, il rit, il exulte et parvient même à garder le verbe sarcastique qui semble l’avoir caractérisé toute sa vie, comme le confirme son meilleur ami Michel, vétérinaire pantois improvisé diagnosticien de cadavre en plein crise. Ce sera au final la femme de Jean-Louis, bobo férue de médecines douces et prônant une écoute plus attentive des signes que nous envoie la nature, qui va apporter à son mari – via un marabout aussi exigeant que profiteur – la seule solution pour faire repartir les battements de son muscle cardiaque : retrouver sa source de vie, l’origine de son monde, et l’offrir en visuel au marabout en question... En bref, faire une photo du sexe de sa mère.
Un problème se pose d’emblée : les relations entre cette femme et son fils au cœur à présent immobile sont loin d’être au beau fixe et les deux ne se sont pas vus depuis des années. En outre, il semble tout à fait impossible que cette vieille bourgeoise parisienne se laisse faire et accepte de se prêter à ce jeu scabreux... S’en suit en effet une succession de situations incongrues au possible, où chaque membre du trio initial va tout tenter pour obtenir le sacro-saint cliché.
Si le scénario issu du texte de l’auteur français à succès Sebastien Thiéry, connu également pour des pièces médiatiques comme Cochons d’Inde ou encore Momo, semble a priori un peu tiré par les cheveux, une chose est certaine, l’alliance de ce texte à la mise en scène de Jérôme Varanfain font de la création du Tol une pièce hilarante, qui sait tourner en dérision les sujets existentiels les plus profonds sans se départir de quelques interrogations plus sérieuses et judicieusement placées. Soit, l’humour et l’utilisation comique de la langue française sont parfois un peu faciles – on imagine souvent la réplique qui va suivre – mais le tout est si bien apporté par un panel bluffant de comédiens que l’on s’engouffre avec plaisir et sans fausse pudibonderie dans ces échanges électriques et burlesques qui rythment L’Origine du monde... Le vétérinaire se fait passer pour un gynécologue altruiste ? On rit. Une fête des voisins nudistes est improvisée lors d’un dîner de famille avec l’objet de toutes les convoitises photographiques ? On rit encore, malgré l’aberration totale que représente cette scène. On rit du début à la fin, et c’est on ne peut plus rafraîchissant.
Mais cette pièce ne serait pas une vraie réussite sans la mise en scène adéquate de Jérôme Varanfrain, qui a su utiliser au maximum le potentiel non seulement de la petite scène et des lumières, mais aussi et surtout celui de ses acteurs, car Caty Baccega, Marie-Anne Lorgé, Jean-Marc Barthélemy, Steeve Brudey et Hervé Sogne sont sans conteste une combinaison parfaite pour interpréter ce texte. Pourtant, réussir à les réunir dans cette création semble avoir pris un certain temps pour le metteur en scène, qui mettait un point d’honneur à pouvoir créer et transmettre la drôle d’alchimie qu’il imaginait pour les planches du Tol. C’est vrai qu’on a par exemple connu Caty Baccega ou Hervé Sogne dans des rôles plus sombres et plus ambigus que ce couple en crise mais uni dans une adversité loufoque, mais le pari est relevé haut la main et il parait évident que la complicité qui transpire des personnages sur scène est loin d’être feinte...