La question de la parentalité est large et complexe, mais elle n’a pas effrayé Joël Pommerat, qui explore cette thématique sensible dans Cet enfant, une pièce à l’origine double et mise en scène par Marion Poppenborg au Théâtre du Centaure. Une expérience intense et émotionnellement dichotomique, tant elle est à la fois prenante et pénible.
Cet enfant est la rencontre de deux projets très différents : le premier est une demande de la Caisse d’allocations familiales du Calvados faite à l’auteur en 2002 et qui visait à recueillir des paroles des pères et de mères en vue de créer un spectacle autour de « Qu’est-ce qu’être parent ? ». Au lieu de cela, Joël Pommerat s’est inspiré des témoignages pour créer un texte traitant sa propre vision de la parentalité contemporaine et mis au service d’une seconde initiative, celle de réunir de comédiens professionnels et des comédiens-élèves du Conservatoire de la Ville de Luxembourg, sous la houlette d’un même metteur en scène. Le deux groupes se mélangent ainsi au fil de la dizaine de scénettes indépendantes qui constituent la pièce, les uns apportant la fraîcheur, les autres l’expérience. Les personnages sont pittoresques, beaucoup sont torturés et livrent une vision assez noire de la famille, avec tout ce qu’elle peut comporter de non-dits, de frustration et de peur. D’autres sont plus fantasques, drôles, parfois caricaturaux et ridicules mais bien encrés dans la société actuelle...
Dès la première scène, l’émotion est présente et l’alliance de tous ces facteurs semble prometteuse. Malheureusement – et dès cette première scène aussi – cette belle promesse est vite ternie par un texte lourd et redondant au possible, au vocabulaire simpliste. Les phrases sont répétées encore et encore par les acteurs qui donnent en conséquence l’impression d’être en mal de mots, manquant d’impacter le spectateur même par répétition. L’évident le devient encore plus, tout comme le vulgaire. Quelques scènes – peut-être celles inspirées directement de témoignages récoltés à l’époque – ressortent cependant du lot et amènent un peu de répit au milieu de cette misère populaire faite texte.
La mise en scène minimaliste de Marion Poppenborg est quant à elle inspirée et fonctionne très bien avec la petite scène du Centaure. Chaque coin, chaque paroi de l’objet central possède sa fonction et répond à une situation précise : une dispute, un entretien, une enquête... Le ballet des personnages successifs, tantôt acteurs, tantôt observateurs, s’y effectue avec fluidité et la diversité des utilisations de cet élément donne une vraie impression d’espace. Cette dernière est toutefois assombrie lors de l’utilisation plus qu’accessoire de la cigarette...
Le spectacle – comme Pommerat aime à appeler ses créations – doit enfin beaucoup au jeu des comédiens qui se donnent sans compter pour incarner ces parents et ces enfants, si bien qu’il est parfois difficile de faire la différence entre les comédiens en devenir et leurs collègues chevronnés. La fin de le pièce est presque portée entièrement par une Anne Brionne épatante de talent, qui passe du glauque au loufoque avec une aisance et une fougue qui embellissent clairement le texte, à l’instar de cette mère paniquée devant le drap qui recouvre peut-être le corps sans vie de son fils qu’elle arrive à rendre intéressante et sympathique malgré la simplicité effarante de ses répliques. Quelques minutes plus tôt, elle incarne avec justesse une femme inquiétante, possessive et dépendante de l’affection de son fils de dix ans dans une des scènes les plus réussies de Cet enfant, un pièce au final semblable aux relations familiales qu’elle explore : changeante, sensible et excessive, dans le mauvais comme dans le bon.