Marie-Antoinette, reine adulée et détestée au destin tragique, est encore perçue aujourd’hui comme une souveraine fantasque, arrogante et superficielle. Il semble cependant qu’elle ait eu des instants de vraie remise en question, et c’est un de ces instants hors du tumulte de la cour que met en scène Françoise Petit-Balmer au Théâtre des Capucins dans La légèreté française, une pièce éponyme de la promesse qu’elle formule : légère et résolument française, en plus d’être réussie…
Discrètement rentrée peu auparavant de Trianon, la reine donne rendez-vous à Louise-Elisabeth Vigée-Lebrun, jeune portraitiste en vogue en ce milieu des années 1780 et à qui elle a permis d’entrer à l’Académie des Beaux-Arts quelques années auparavant, afin de terminer un portrait en cours, œuvre qui fera beaucoup jaser lors de sa présentation tant la tenue de Marie-Antoinette est alors considérée comme légère. Loin des intrigues, des fêtes et des bruits de la cour, la souveraine jouit de ses nouveaux appartements de Versailles avec une relative simplicité et Madame Vigée-Lebrun raconte à travers le texte de Nicolas Bréhal, tantôt à la première personne, tantôt en relatant les discussions futiles ou plus graves qu’elle entretient à ce moment avec la reine, les conditions qui ont amené cette dernière à livrer à quelques confidences lors de cette dernière séance de pose…
La création des Capucins se déroule dans un décor que l’on imagine très bien être l’un des nouveaux salons de Marie-Antoinette et qui s’accorde parfaitement avec le cadre historique du théâtre du centre-ville. Sur scène, dans un écrin de luxe, la portraitiste et la reine vont échanger tout au long de la pièce sur divers sujets, des plus anodins aux plus sulfureux, sur la vie de famille de Madame Vigée-Lebrun, sur les soirées données chez tel ou tel Conte, sur l’avenir du portrait en cours, sur les fonctions et la réputation de la souveraine, sur ses angoisses, ses devoirs, ses joies et ses affects extraconjugaux… Si les premières minutes de jeu peuvent inquiéter quant au rythme et à l’intérêt d’un tel échange sur la durée, ce doute est vite dissipé grâce au jeu précis et adéquat de Valérie Bodson, qui incarne avec justesse une Marie-Antoinette élégante, raffinée et ambigüe, et de Salomé Villiers, particulièrement impressionnante dans son interprétation de cette jeune peintre avide d’indépendance, au tempérament à la fois bien trempé et dévoué à sa mécène.
Ainsi, par son écoute attentive mais également par quelques accès d’audace, Louise-Elisabeth va peu à peu passer du statut de simple oreille à celle de confidente, voire de conseillère et la complicité des deux femmes, rendue évidente aux yeux du public par le jeu des actrices, donne un ton tout empreint de délicatesse, presque suspendu dans le temps à cette jolie production, bien loin des œuvres percutantes du théâtre contemporain promu de manière plus générale par les Théâtres de la Ville de Luxembourg. Les silences, les mouvements lents et graciles, et même les quelques minutes nécessaires au service de deux limonades : le temps est utilisé intelligemment, ponctuant quand il le faut les confidences devenues parfois tendues entre artiste et modèle…
Parfaite illustration de ces plaisantes badineries : alors que Madame Vigée-Lebrun rappelle à son Altesse le souvenir de leur première rencontre et à quel point le port de tête de la Reine l’avait subjuguée, cette dernière lui rétorque : « Si je n’étais pas reine, on dirait que j’ai l’air insolent n’est-il pas vrai ? ». Il eût ainsi peut-être été pompeux de mettre en scène de manière si épurée et classique les confidences les plus secrètes de Marie-Antoinette ainsi que son envie de faire de sa vie une œuvre d’art si la mise en scène juste de Françoise Petit-Balmer, bien aidée par de superbes costumes, et le jeu frais et enjoué de Valérie Bodson et de Salomé Villiers ne faisaient pas de cette Légèreté française un moment de théâtre presque royal…