Dans un « document de discussion » récemment transmis aux 27, dont nous avons pris connaissance, la présidence hongroise de l’Union européenne identifie six questions qui doivent être tranchées afin de résoudre le casse-tête de la fiscalité de l’épargne. Tous les projecteurs sont de nouveau braqués sur le Luxembourg – et, par ricochet, sur la Suisse. Le document servira de base à un débat du « groupe de travail à haut niveau » sur la fiscalité qui se réunira le 31 janvier, en vue de préparer le prochain conseil des ministres des Finances des 27, le 15 février.
Budapest y confirme son intention de « mettre à profit l’impulsion » donnée par l’accord que l’UE a trouvé sur un renforcement de la coopération administrative dans le domaine fiscal, en décembre 2010, pour démêler l’écheveau de la révision de la réglementation européenne sur fiscalité de l’épargne. La Hongrie lorgne un accord politique en mai. La crise économique a accru « la nécessité de collecter des revenus supplémentaires » pour les 27 États membres, dont « les budgets son de plus en plus serrés », souligne le texte.
Les données du problème sont connues : malgré l’engagement qu’ont pris les 27 de promouvoir la bonne gouvernance fiscale afin de lutter contre la fraude et l’évasion, en juin 2009, le dossier est bloqué depuis le début de 2010 en raison des exigences du Luxembourg et de l’Autriche.
Les deux pays ne s’opposent pas à une extension du champ d’application de la directive européenne sur la fiscalité de l’épargne à de nouveaux produits (certains contrats d’assurance-vie, etc.) et aux personnes morales (trusts, etc.). Mais ils exigent que l’UE satisfasse au préalable à deux revendications : l’introduction d’une clause de « conditionnalité externe » stricte dans la législation européenne et la prolongation de la « période transitoire » qui leur permet d’appliquer un système de retenue à la source sur les paiements d’intérêts à des non-résidents – et, partant, de préserver leur secret bancaire – plutôt que celui de l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales.
Afin de ne pas pénaliser leurs places financières, Luxembourg et Vienne veulent être traités sur un pied d’égalité avec les cinq pays tiers (Suisse, Liechtenstein, Andorre, Saint-Marin et Monaco) et les dix territoires dépendants de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas (îles anglo-normandes, Antilles néerlandaises, etc.), qui ont conclu un accord sur la fiscalité de l’épargne avec l’Union. Dans ces conditions, « les délégations partagent-elles le point de vue qu’une clause de conditionnalité externe doit être intégrée » dans la directive révisée, demande la présidence hongroise ? « Cela signifierait que les modifications apportées à la directive ne commenceraient à s’appliquer qu’à partir du moment où ils seraient incorporés dans les accords avec les 5 +10 partenaires » extérieurs de l’UE.
Deuxième pierre d’achoppement des négociations intracommunautaires : le lien qui a été établi par le Luxembourg et l’Autriche entre la directive sur la fiscalité de l’épargne et la conclusion d’accords sur la lutte antifraude et l’échange d’informations fiscales entre l’UE d’une part, la Suisse, le Liechtenstein, Andorre, Saint-Marin et Monaco de l’autre.
Luxembourg et Vienne refusent d’approuver le projet d’accord que la Commission européenne a déjà négocié avec le Liechtenstein et de donner leur feu vert à l’ouverture de pourparlers avec les quatre autres pays. Et pour cause : « L’entrée en vigueur de ces accords pourrait accélérer la fin de la période transitoire » pendant laquelle le grand-duché et l’Autriche peuvent appliquer le système de la retenue à la source, reconnaît Budapest.
Les accords avec les cinq pays tiers visent notamment à graver dans le marbre l’engagement qu’ils ont pris d’appliquer les standards de l’OCDE sur l’échange, à la demande, d’informations entre administrations fiscales. Or, l’actuelle directive sur la fiscalité de l’épargne stipule que leur entrée en vigueur contraindra le Luxembourg et l’Autriche à basculer vers le système de l’échange automatique d’informations, et, partant, à renoncer au secret bancaire. Les deux pays de l’UE estiment que leurs places financières seraient ainsi défavorisées par rapport à leurs concurrentes directes, ce qu’ils ne peuvent accepter.
Dans l’espoir d’aboutir à un « accord politique » avant la fin de sa présidence de l’UE, la Hongrie se demande si les deux dossiers (directive sur la fiscalité de l’épargne et accords antifraude avec les pays tiers) doivent être examinés « simultanément », comme c’est le cas jusqu’à présent, ou s’il ne serait pas « préférable » de les étudier l’un après l’autre, dans un ordre à déterminer.
Cela ne changera sans doute rien à la situation. Aussi Budapest interroge-t-il plus précisément ses partenaires : « Les délégations estiment-elles que la question de la période transitoire doit être traité d’une façon ou d’une autre avant » que puisse être trouvée une solution d’ensemble ? Le document rappelle que la Suède et l’Espagne, qui ont successivement occupé la présidence tournante de l’Union entre juin 2009 et juillet 2010, ont toutes deux formulé des propositions de compromis. En vain.
Le premier stipulait que seule la ratification – à l’unanimité des 27 – et non « l’application provisoire », dès leur signature, des accords antifraude avec la Suisse, le Liechtenstein, Saint-Marin et Monaco mettrait fin à la période transitoire dont bénéficient le Luxembourg et l’Autriche.Dans une déclaration, les deux pays auraient en outre prévenu qu’ils ne ratifieraient pas ces accords avant que les cinq États tiers acceptent d’appliquer le système de l’échange automatique d’informations dans le domaine de la fiscalité de l’épargne – la Commission européenne aurait été invitée à ouvrir des négociations à ce propos.
La deuxième proposition de compromis, elle aussi rejetée, visait à introduire dans la directive sur la fiscalité de l’épargne une date « inconditionnelle » marquant la fin de la période transitoire pour Luxembourg et Vienne : le 1er janvier 2014. Parallèlement, il prévoyait que la Commission « explorerait » avec Berne, Vaduz Andorre, Saint-Marin et Monaco la possibilité d’abolir le secret bancaire.
« Les délégations considèrent-elles qu’une de ces options ou leur combinaison pourrait représenter le point de départ de nouveaux travaux ? Quelles sont les améliorations qui pourraient leur être apportées ? D’autres options sont-elles envisageables ? D’autres questions doivent-elles être examinées ? », écrit la présidence hongroise, qui marque sa volonté de porter « un regard nouveau » sur le sujet, mais ne fournit elle-même aucune réponse.