Le compte à rebours avait déjà commencé en 2007 pour les sociétés holding relevant du régime de juillet 1929 : le gouvernement a offert à ces structures un délai de trois ans, jusqu’au 31 décembre 2010, pour profiter jusqu’au bout d’un régime fiscal qui a contribué au développement du secteur financier, mais qui a été considéré en 2006 par la Commission européenne comme un aide d’État, donc incompatible avec la réglementation européenne. Le gouvernement ne s’était pas fait prier alors pour abroger le régime, sans chercher à mettre en doute la validité du raisonnement des experts de Bruxelles qui avaient enquêté pendant quatre ans sur la légalité du régime de 1929. Le temps suffisant pour les autorités luxembourgeoises de préparer la parade et trouver des ersatz avantageux aux vieilles structures holdings sans se faire taper sur les mains par Bruxelles : ainsi furent inventées les sociétés de participations familiales qui s’ajoutaient au régime des sociétés de participation financière (soparfis) créé en 1991 et dans lequel de nombreux H29 avaient déjà basculé. « Depuis dix ans, signale John Hames, associé chez Ernst [&] Young, le holding 1929 ne joue plus aucun rôle dans la planification fiscale des multinationales », en raison notamment de leur exclusion des conventions de non-double imposition. Bien avant donc que Bruxelles ne déclare le régime illégal. Rien toutefois ne pourra remplacer les bons vieux holdings dont l’utilisation fut tellement galvaudée qu’ils finirent par coûter cher à la réputation du Luxembourg.
L’Administration de l’enregistrement et des domaines (AED) avait recensé 15 000 holdings en 2005. Dans son dernier décompte réalisé à la mi-novembre, l’administration a identifié 7 400 survivants, chiffre dont il fallait retrancher 3 000 dossiers que la direction de l’AED a envoyés au Parquet de Luxembourg pour procéder à une liquidation judiciaire en raison de violations du droit des sociétés, la plupart des infractions constatées ayant trait à la non-publication dans les délais requis des comptes annuels. Il s’agit pour beaucoup de holdings « dormants », que leurs propriétaires semblent avoir abandonnés à leur sort. Il resterait donc 4 400 holdings actifs, mais vu le rythme effréné des modifications de statuts renseignées par le Mémorial C ces dernières semaines et le décalage entre l’enregistrement des actes notariés et la communication des changements à l’administration fiscale, leur nombre ne devrait plus être aussi important. Certaines sources parlent d’un millier de « dinosaures » encore sur le terrain. « Nous nous attendons à une vague d’actes de sociétés de la part des notaires en décembre, car beaucoup de sociétés profiteront de l’avantage fiscal jusqu’au dernier jour », assure-t-on à l’Enregistrement.
En mettant fin au régime holding à partir de 2007 et en permettant aux anciennes structures un atterrissage en douceur, le ministère des Finances n’a pas pris de gros risques. Il s’est offert de surcroît un nettoyage de sa place, en chargeant le Parquet de faire le sale boulot en chassant les opérateurs irrespectueux du droit luxembourgeois hors du pays. Les déperditions devraient se limiter à un quart environ, selon plusieurs sources concordantes, soit que les holdings se voient liquidés, soit que ses dirigeants choisissent de déménager le siège de la société dans des juridictions exotiques à fiscalité légère. Ces cas seraient isolés. On a quand même vu récemment le holding Stolt Nielsen partir pour les Bermudes (d’Land du 19.11). Mais, s’empresse de préciser un opérateur de la place, le groupe suédois n’a pas définitivement mis un terme à sa présence au grand-duché puisqu’il y a localisé plusieurs sociétés de participations financières.
En termes de moins-values fiscales, le déchet se révèle lui aussi minime. Les holdings n’ont représenté au premier trimestre 2009 que dix pour cent des recettes tirées de la taxe d’abonnement, soit onze millions d’euros, l’essentiel des rentrées provenant des fonds d’investissement (180 millions d’euros). C’est d’ailleurs pour cette industrie de la gestion collective que le taux de la taxe d’abonnement fut ajusté progressivement à la baisse.
Où vont les holdings ? « La réponse est dans les actifs détenus par les holdings 29 », répond John Hames. La plupart des groupes qui utilisaient ces véhicules pour réaliser des opérations de financement intra-groupe, activité qui fut longtemps et lorsque la libre circulation dans l’Union européenne n’existait pas encore, la raison d’être des H29, n’ont pas attendu la décision de 2006 de la Commission européenne pour modifier leur statut. La plupart ont troqué le régime de 1929 contre celui de 1991 sur les sociétés de participation financières dans les années 1990 et 2000 pour profiter du réseau des conventions fiscales signées par le Luxembourg en matière de double imposition et bénéficier du régime de la directive mère-fille exonérant d’impôts les intérêts des participations des filiales étrangères (les filles). En transposant cette directive, le gouvernement luxembourgeois a d’ailleurs ajouté à l’exonération des intérêts déjà prévue par la directive, celle des dividendes sur laquelle le texte européen est resté muet. Cette particularité a d’ailleurs largement contribué à l’explosion du nombre de soparfis. À l’ACD, on déclare toutefois ignorer leur nombre exact, étant donné qu’il s’agit de sociétés de droit commun. La solution des soparfis est surtout valable pour les sociétés ayant des participations importantes (dix pour cent ou l’équivalent de six millions d’euros).
La transformation du holding en soparfi se fait en trois coups de cuillère à pot : il suffit d’ajouter aux anciens statuts le fait que la société peut réaliser des opérations commerciales. Elle perd ainsi son statut fiscal privilégié et bascule automatiquement sous le régime fiscal de « droit commun », devenant de ce fait « pleinement imposable » (et relevant de l’Administration des contributions directes et non plus de l’AED), quoi que la fiscalité à laquelle ce type de société est soumis reste des plus light. Il suffit d’être bien conseillé. « Pour quelqu’un qui n’a rien à cacher, il est certainement plus intéressant de disposer d’une soparfi que d’un holding », explique une source proche du dossier. Encore que certains pays comme la France et l’Allemagne et plus récemment l’Italie regardent de manière suspecte ces véhicules, en y voyant une porte de sortie pour échapper à l’impôt. D’où les requalifications parfois douloureuses qui sont opérées par le fisc de ces pays et toute la panoplie de mesures anti-abus.
Dans son rapport annuel, l’Administration des contributions directes relève que « quatre cinquièmes des collectivités ne présentent pas de cote d’impôt sur le revenu, soit qu’il s’agisse de petites entreprises ou de collectivités dont les activités ne dégagent généralement pas de bénéfice imposable, soit qu’il s’agisse de sociétés de participation qui dégagent en majeure partie des revenus exonérés en vertu de diverses dispositions fiscales (la directive fille-mère, ndlr.) ». Un message qui a probablement incité le gouvernement, sous l’impulsion de sa branche socialiste, à « inventer » la taxe sur les soparfi de 1 500 euros par an (lire aussi l’encadré). Si ces structures ne dégagent pas de bénéfice, elles doivent uniquement s’acquitter de 2 500 francs luxembourgeois d’impôt sur la fortune (62 euros), le minimum prévu.
Relevant des sociétés de droit commun, les soparfis, et surtout l’usage qui en est fait à travers la transposition de la directive mère-fille exonérant les dividendes et les intérêts, sont scrutés de très près par la Commission européenne. Ils ont beau regarder le régime sous toutes ses facettes, les experts n’ont rien trouvé de répréhensible. « Des discussions sont menées au sujet du mauvais emploi de la directive mère-fille », confirme un expert. Rien de formel toutefois, les discussions restant au niveau des experts sans jamais encore avoir débordé sur le terrain de la politique. Les abus existent bel et bien, qui permettent une double exonération des dividendes alors que le texte européen a été fait pour éviter une double imposition. Les flux des dividendes venant d’Asie ou des pays du Golfe persique, caratérisés par une faible imposition, remontent vers l’Union européenne sans subir d’impôts. « Le terrain est glissant », reconnaît l’expert.
Les holdings 1929 ont servi deux types de clientèle : les groupes internationaux pour leurs opérations de financement, dont la plupart a basculé dans le régime des soparfis et les patrimoines privés. C’est pour eux que le gouvernement a mis en place les sociétés de gestion de patrimoine familial, à l’utilisation plus restrictive que les holdings relevant de la loi de juillet 1929. Il leur est impossible par exemple de détenir des brevets ou des marques de fabrique tout comme il leur est interdit de consentir des prêts rémunérés à leurs filiales, ce dont les holdings ont abusé jusqu’à l’indigestion. Pas question non plus de les utiliser pour faire des prestations intragroupe, ce rôle étant désormais dévolu aux soparfis.
L’AED a recensé 1 250 SPF, mais leur nombre devrait exploser après la disparition du régime H29 le 1er janvier prochain, bien que ces structures souffrent du même désavantage que les H29 : elles ne sont pas inclues dans les traités de non-double imposition signés par le Luxembourg. Les investisseurs qui cherchent à générer des dividendes à moyen ou long terme n’ont donc pas beaucoup d’intérêt à les utiliser, du fait de l’impossibilité d’amortir l’impôt à la source. Ceux qui détiennent un portefeuillle de valeurs mobilières à court terme ont plus d’intérêt à faire une conversion en SPF dans une optique de vente, les plus- values de cession étant « immunisées » d’impôts au Luxembourg.
Début 2010, le capital global des SPF atteignait 1,5 milliard d’euros pour 840 SPF, selon les indications de l’AED. C’est peu par rapport à ce que représentait encore en janvier 2007 le capital des holdings 1929 : 36 milliards d’euros. Les SPF sont soumises à un taux d’imposition de 0,25 pour cent de leur capital, contre 0,20 pour cent précédemment pour les holdings. Tous n’étaient d’ailleurs pas traités de la même manière, les holdings milliardaires ayant droit à un meilleur sort que les véhicules ordinaires du même type : deux millions de francs luxembourgeois par an d’impôts (50 000 euros), à quoi se greffait un système d’imposition complexe sur les dividendes, les intérêts et les tantièmes. Il y en avait 150 au Luxembourg à l’âge d’or des H29, il en resterait une centaine qui attendent sans doute la dernière heure du régime pour changer de statut ou s’en aller du Luxembourg. Vers Chypre, dans l’UE, par exemple qui en a accueilli un petit nombre, ou vers les paradis plus exotiques.
D’autres structures s’offrent aux investisseurs comme les fonds d’investissement spécialisés (SIF) ou même les sicavs de capital risque (sicars). Il est rare néanmoins qu’un holding bascule dans une Sicar dans la mesure ou ce genre de véhicule se destine aux investissements à risques. Bien que la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), qui contrôle les Sicars, ait une approche plutôt libérale pour la qualification des investissements à risque, on ne peut pas y mettre n’importe quoi : des immeubles en Afrique, oui, mais certainement pas des bâtiments situés sur les Champs Elysées. Ce n’est d’ailleurs pas pour aider les holdings à trouver un statut équivalent que les sicars ont été inventées.
« La moitié des dossiers que nous traitons se transforment en SPF », souligne pour sa part Carlo Schlesser, l’un des patrons de SGG et président de Luxembourg international management services association (Limsa). Un autre quart est liquidé ou transféré vers des autres entités offshore (il s’agit de dossiers isolés) et le dernier quart des holdings bascule en soparfis, précise-t-il.
La « piste » des SIF et plus marginalement celle des sicars (ce type de fonds bénéficie du régime de la directive mère-fille pour ses participations et n’est pas imposé sur les intérêts tirés de ses investissements à rique, contrairement aux soparfis) reste donc une alternative, avec l’inconvénient toutefois d’être des produits « réglementés », souligne John Hames. En optant pour une SIF, les investisseurs tombent les deux pieds dans la fiscalité des sicavs, qui prévoit entre autres le paiement de la taxe d’abonnement. Le taux est toutefois réduit (0,01 pour cent du capital). Pour le reste, il s’agit d’un produit totalement défiscalisé. On ne va peut-être pas regretter tant que ça les holdings 29.