En 1980, dans son livre sur l’épuration au grand-duché de Luxembourg, Paul Cerf consacre à peine une page aux artistes qui auraient collaboré durant les années d’occupation. Il y décrit deux cas, celui de l’acteur René Deltgen, et celui de l’artiste plasticien Théo Kerg, essentiellement pour les incriminer. Depuis le sujet de la situation des artistes plasticiens n’a été traité, publiquement, qu’une seule fois, en périphérie de l’exposition Le grand pillage en 2005 au Musée d’histoire de la Ville de Luxembourg. Cette exposition avait remis à l’ordre du jour cet aspect négligé de l’histoire de l’art au Luxembourg, mais bien que l’exposition ait contribué à poser des questions, celles-ci sont, pour la majorité, restées sans réponse.
C’est en 2010 que Catherine Lorent a conclu sa thèse traitant de la politique artistique et culturelle des nazis au grand-duché entre 1934 et 1944, qui vient d’être publiée, en langue allemande, par l’éditeur Kliomedia à Trêves. Avec son travail universitaire, Catherine Lorent entend mettre un accent sur ce qu’elle appelle un tabou au sujet de l’histoire de l’art des années d’occupation du Luxembourg. Mais cette approche analytique, est précédée de toute une partie dédiée aux années trente, plus précisément à la scène artistique nationale à l’aube de la deuxième guerre mondiale. L’auteure y entreprend non seulement un résumé de la création pendant ces années de doute et d’incertitude, mais également des études plus approfondies sur, par exemple, les interventions artistiques pour le pavillon luxembourgeois à l’exposition universelle à New York en 1939.
Avec une douzaine de digressions qui traitent aussi bien de la destruction de la Gëlle Fra que de la notion de kitsch sous l’occupation, Catherine Lorent recrée le contexte d’une création artistique sous influence. Mais la propagande culturelle de l’époque n’est pas seulement allemande, et l’exemple de l’exposition La peinture contemporaine française – De Manet à nos jours, organisée en avril 1937 au Cercle municipal de Luxembourg est un exemple intéressant, qui sera observé par le Sicherheitsdienst nazi, qui qualifiera cet accrochage de plus de cent peintures comme un événement majeur de la propagande française.
L’essentiel de l’ouvrage de Catherine Lorent traite évidemment de la politique culturelle nazie pendant les années d’occupation du Luxembourg et l’auteure en relève les nombreux aspects, dont cet article ne pourrait faire le résumé. Mais en prenant l’exemple des deux Künstlerfahrten organisées en 1941 et 1942 par l’occupant en direction des villes allemandes et de l’Autriche annexée, elle met en évidence cette collaboration douce qui consistait à participer aux activités et aux expositions de l’ennemi.
L’ouvrage se conclut par une série de biographies courtes, qui recensent les participations, la collaboration mais aussi les refus et les résistances des artistes luxembourgeois. Cette annexe pose à nouveau la question de l’absence d’une véritable histoire de l’art luxembourgeoise.
Comme l’exposition …Et wor alles net esou einfach, organisée en 2005 au MHVL, ce travail universitaire remet à l’ordre du jour la nécessité d’un travail d’analyse de cette époque, où la culture et ses acteurs au Luxembourg ont été manipulés et instrumentalisés par l’occupant, mais en même temps ont connu un essor inédit jusque-là.
Elise Schmit
Catégories: Luxemburgensia
Édition: 22.02.2013