Poète, dramaturge et peintre, Jean Cocteau (1889-1963) aura légué une œuvre protéiforme. L’église saint Maximin de Metz garde trace de son passage en Lorraine, avec ses très beaux vitraux païens signés de l’artiste. On oublierait presque qu’il fut également un grand cinéaste, si ses films inspirés n’étaient régulièrement mis à l’honneur. C’est le cas à la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg, avec la projection, cette semaine, de La Belle et la Bête (1946). Inspiré du conte de fée de Madame Jeanne-Marie Leprince de Beaumont (1711-1780), il s’agit de son deuxième long-métrage après Le sang d’un poète (1930). Dès le prologue est demandée au spectateur la plus grande naïveté : « Il faut croire, comme l’enfant. L’enfance croit ce qu’on lui raconte et ne le met pas en doute ». Il nous faut retourner en enfance pour ainsi pénétrer dans l’univers du merveilleux.
Fidèle à son approche poétique du cinéma, Cocteau transfigure le réel, épaulé de l’immense chef-opérateur Henri Alekan. Tel un magicien, il ralentit le temps, change des larmes en perles de diamant, anime les statues et les chandeliers qui ornent le manoir de la Bête... Mille lueurs scintillent à l’image. On ne compte plus les astuces trouvées en cours de tournage, comme ce somptueux travelling réalisé au moyen d’une planche à roulette, lorsque Belle (Josette Day) se rend pour la première fois dans la propriété du monstre au grand cœur. Aujourd’hui encore, la mise en scène est d’une étonnante modernité, jusque dans l’usage contrapuntique de la musique de Georges Auric. On décèle l’influence du surréalisme à la porosité du rêve et de l’état de veille, mais aussi à une méthode de tournage dans laquelle le hasard et les erreurs deviennent des contraintes créatrices. Remémorant son manque d’expérience sur Le sang d’un poète et La Belle et la Bête, Cocteau confessait : « Je ne savais rien. Je découvrais le métier coûte que coûte et croyais l’employer comme on l’exerce d’habitude. C’est ainsi que de nombreuses erreurs passent pour des trouvailles. Charlie Chaplin estime que le personnage qui bouge en ‘plan américain’ et dont le mouvement recommence en gros plan au lieu de finir, est une trouvaille. [...] Fautes et hasards nous rendent souvent des services » (Jean Cocteau, Entretiens sur le cinématographe).
L’opposition entre la laideur de la Bête et la beauté d’Avenant – les deux amours contrariés de Belle interprétées par un même acteur, Jean Marais, amant de Cocteau – finit par se résoudre dans la séquence finale. Alors que survient la mort d’Avenant, la Bête parvient à conquérir le cœur de Belle et se découvre sous les traits d’un Prince séduisant (Jean Marais, une fois de plus). Cette approche poétique du cinéma exercera une grande influence sur deux maîtres du temps et du rêve, David Lynch et Andreï Tarkovski. La séquence de l’imprimerie filmée au ralenti dans Le Miroir (1974) fait écho à la course de Belle dans le manoir. Le peintre et cinéaste américain, quant à lui, retiendra surtout la dimension plastique du film, depuis le maquillage du monstre (que l’on songe par exemple à Eraserhead ou à The Elephant Man) aux décors baroques confectionnés par Christian Bérard et Lucien Carré.