Un cocktail molotov se dirige au ralenti contre une photographie en plan large de notre planète. Le narrateur conte l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages. Durant sa chute, ce dernier se répète sans cesse « jusqu’ici tout va bien », mais le destin est inéluctable car « l’important c’est pas la chute, mais l’atterrissage. » La bouteille en verre se brise, le globe est en feu et l’image est en noir et blanc. Jeudi 7 novembre, le public de la Kulturfabrik a pu (re)découvrir sur grand écran le célèbre prologue issu du cultissime film La haine (1995) dans le cadre d’un ciné-concert. Steve Chandra Savale, Dr.Das et Brian Fairbairn de l’Asian Dub Foundation étaient aux manettes et ont présenté un show efficace, aussi amusant que déroutant. Leur spectacle, passé par Londres, Paris et Istanbul a fait un crochet par le Grand-Duché. Retour sur l’événement.
Le show est sold-out. C’est que le chef d’œuvre de Mathieu Kassovitz fait encore sensation près de 25 ans après sa sortie. Dans La haine, on suit les pérégrinations, 24 heures durant, d’un trio de jeunes de banlieue archétypaux. Leur réveil dans un quartier ravagé par de violentes manifestations, leurs rencontres avec une multitude de personnages toujours plus dingues, et leur fin tragique qu’on taira ici. Ce conte moderne sur fond de violence policière est un must et l’opportunité de le voir remixé par le groupe alternatif britannique avait de quoi faire saliver.
Dans la grande salle, de très nombreuses chaises ont été installées, ou comment institutionnaliser l’underground. La séance sera donc plus ciné que concert. L’audience regroupe surtout des trentenaires et jeunes quadragénaires. La lumière éteinte, les percussions font sursauter. Les images sont projetées sur un écran et les artistes interprètent leur titre Th9 en version instrumentale. Quelques riffs à la guitare électrique calqués sur les images du générique donnent le la. Les retardataires se faufilent entre les allées étroites. Le concert sera placé sous le signe de l’urgence.
Le son du long-métrage, presque dépourvu de musique à l’origine, est si bas que les dialogues sont souvent inaudibles. Des sous-titres en anglais permettent de suivre l’intrigue. Les trois musiciens font une relecture en imaginant leur propre bande originale éclectique et déconcertante par certains aspects. Ainsi, dans la séquence de présentation de Vinz, personnage interprété par Vincent Cassel, une musique traditionnelle juive – entendue quelques secondes à peine dans le film – est ici prolongée et remixée à la sauce reggaeton. De la même manière, les quelques morceaux rap parsemés ici et là prennent un virage quasi pop-rock qui peut dérouter.
Les titres s’enchaînent et se complètent avec plus ou moins de cohérence. Le trio court après les images comme si sa vie en dépendait, un peu comme Grunwalski, ce personnage évoqué par un vieil homme dans une scène d’anthologie et qui court après un train en marche dans les steppes sibériennes. Entre des effets de réverbération des voix des héros et du sampling à l’excès de bruitages issus du métrage, la musique parfois trop forte annule le réalisme brut du film en développant son aspect onirique. Les saillies de Saïd Taghmaoui font rire à gorge déployée, malgré plusieurs couches de sons. La séance se termine comme elle a commencé, dans une incandescence qui aura fait suer les musiciens et le public.