Les économies de 230 millions d’euros annoncées par le ministre des Finances Pierre Gramegna (DP) dans le budget d’État pour 2014 ne sont que maquillage. Difficile d’y déceler une vision d’avenir

La politique dématérialisée

d'Lëtzebuerger Land vom 07.03.2014

Il a choisi le violet pour la couverture du projet de budget 2014 parce qu’il s’agit d’une « couleur de transition, entre le bleu et le rouge », pour un « budget de transition » a affirmé un ministre des Finances de très bonne humeur au micro de RTL Radio Lëtzebuerg, juste après le dépôt du budget, mercredi 5 mars. Ce qu’il n’a pas dit, ce sont les symboliques religieuses qu’on associe à la couleur : l’affliction, le jeûne ou la pénitence… « Lorsque ce gouvernement a commencé son travail, le 4 décembre de l’année dernière, il a déjà trouvé un projet de budget pour cette année sur son bureau », insiste l’ancien ministre des Finances Luc Frieden (CSV) vis-à-vis du Land, et que donc la majorité du travail était déjà fait. « Ce document est le fruit d’un travail de deux mois, durant lesquels l’Inspection générale des Finances a œuvré d’arrache-pied nuit et jour, » avait affirmé l’actuel ministre Pierre Gramegna (DP) à la tribune de la Chambre des députés mercredi matin.

Fin décembre, le ministre a écrit une circulaire budgétaire à toutes les administrations étatiques et para-étatiques leur demandant de proposer des mesures d’économie supplémentaires de l’ordre de dix pour cent de leurs frais de fonctionnement par rapport à 2013 et que dorénavant, « tous les crédits devront être justifiés à partir du premier euro ». Or, Claude Wiseler, vice-président du groupe parlementaire du CSV, insiste : « Ce chiffre de dix pour cent peut induire en erreur, car il ne s’agit en fait que de dix pour cent sur les 7,1 pour cent des budgets publics que représentent les frais de fonctionnement… » À l’exception de quelques postes incompressibles ou symboliques comme la préparation de la Présidence du conseil des ministres de l’Union européenne, que le Luxembourg assurera en 2015 (seize millions d’euros sont prévus en 2014), le financement de la promotion de la Place financière ou les frais informatiques que le gouvernement Bettel-Schneider-Braz voit comme un investissement dans la modernisation de l’État, ce sont donc les postes frais de bureau, frais de voyage et de logement, frais d’experts ou d’exploitation des bâtiments qui furent visés. Or, malgré les efforts que tous les ministères soulignent dans la justification du budget de leurs départements respectifs, il n’a pas été possible d’atteindre les dix pour cent, mais seulement 8,5 pour cent d’économies, soit 50 millions d’euros.

Numerus clausus Les économies fièrement affichées par le ministre ne sont aussi parfois que des dépenses non occasionnées, comme dans le domaine des recrutements pour l’administration publique, régis par un numerus clausus fixé chaque année dans le budget de l’État : alors qu’en 2013, ce chiffre était de 320 personnes supplémentaires, il ne sera que de 150 nouveaux recrutements en 2014 – soit moins de la moitié, ce qui équivaudrait à une économie de l’ordre de neuf millions d’euros. Or, contrairement à des exercices précédents, où même Luc Frieden, qu’on disait plus bureaucrate que politique, dressait une vision politique en énumérant le nombre d’enseignants, de policiers ou de chercheurs inclus dans ce contingent, Pierre Gramegna n’en souffla mot. Impossible de trouver la moindre indication à ce sujet dans le gros document du projet de budget n° 6666. Dans une première réaction, la Confédération générale de la fonction publique (CGFP) insiste sur le fait que l’administration publique luxembourgeoise est déjà une des plus légères d’Europe et que la politique de recrutement devrait avoir comme priorité d’assurer un fonctionnement efficace au service du citoyen.

Un accent particulier de ce gouvernement que Pierre Gramegna rappela à plusieurs reprises est celui des investissements informatiques : « L’informatique est la première priorité dans toutes les administrations, parce qu’elle assure un gain d’efficacité » insista-t-il. Les crédits prévus atteignent 80 millions d’euros – soit 21 millions d’euros de plus que l’addition des économies des frais de fonctionnement et de recrutement promises. Il ne faut pas être Aldous Huxley pour y voir, au-delà d’un phénomène de mode, une tendance à la dématérialisation, le remplacement de la wet ware par la soft- et hardware, des gens par des ordinateurs. En feuilletant le budget, cela est par exemple flagrant dans le budget du ministère de la Famille où se suivent (en page 254) deux postes particulièrement parlants : en 2014, le ministère finance la Plan national pour le sans-abrisme et l’exclusion liée au logement à hauteur de 220 000 d’euros, mais la ligne juste en-dessous indique que le logiciel informatique des offices sociaux coûtera le double de ce poste, soit 450 000 euros. Le ministère de l’Économie quant à lui présente fièrement son Single window for logistics, un guichet unique informatique, comme une avancée dans la modernisation de l’État. Coût : un demi-millions d’euros en 2014.

Hasards D’autres économies que le gouvernement affiche dans son projet de budget sont le simple fruit du hasard qui, souvent, ne dépassent guère l’anecdotique : pas de Jeux des petits États d’Europe cette année, ni de Jeux de la francophonie ; pas besoin de prévoir des achats supplémentaires des sels de déneigement, vu que l’hiver clément n’a pas entamé les réserves encore en stock ; baisse des crédits pour l’accueil, le logement et même le rapatriement des demandeurs d’asile, vu que leur chiffre a considérablement baissé par rapport à 2013… Par contre, le budget reste plutôt discret sur un autre poste en rapport à la conjoncture : celui des frais occasionnés par l’augmentation du chômage (Fonds pour l’emploi, indemnités de chômage,...), dont les dépenses passent de 698 à 740 millions d’euros, le reclassement ou la préretraite (restructuration de la sidérurgie e.a.).

À côté d’une économie assez hypothétique de 35 millions d’euros que le gouvernement ferait grâce à la réforme des bourses d’études, le plus gros poste d’économie annoncé par Pierre Gramegna concerne les investissements : moins 137 millions d’euros par rapport à 2013. Des sommes, parfois importantes, sont aussi coupées dans les établissements publics (moins 13,6 pour cent) et surtout dans les Fonds spéciaux, moins 62 pour cent, dans lesquels sont particulièrement concernés le Fonds des routes (moins 17 pour cent) et le Fonds du rail (moins 40 pour cent), ce qui serait d’autant plus étonnant que ce sont deux domaines chers au partenaire de coalition Vert, comme le souligna, narquois, le député ADR Gast Gibéryen mercredi soir à RTL Télé Lëtzebuerg. Or, Pierre Gramegna l’annonça : en matière de transports, ce gouvernement veut accorder une priorité absolue aux transports publics et à la mobilité, pour lesquels des crédits de 750 millions d’euros sont prévus dans le budget ; 28 millions d’euros du Fonds du rail seront investis cette année dans la création de plateforme multimodale à Bettembourg.

« Dans les prochains jours, il faudra analyser si ces économies dans les investissements signifient l’abandon de certains projets ou s’ils sont seulement reportés ou étalés dans le temps, » note Claude Wiseler, l’ancien ministre des Infrastructures. Or, si ni à la tribune de la Chambre des députés, ni dans le projet de budget, des suppressions de grands projets prestigieux de construction ne sont annoncés, c’est probablement aussi parce que le gouvernement Juncker-Asselborn les avait déjà tous remis à l’après-2014 et ne voulait les reprendre sur le métier que lors de la nouvelle législature.

Tout pour la Place Un des investissements dont Pierre Gramegna souligna la priorité pour le gouvernement est celui de la promotion de la place financière : le budget augmentera de 1,2 million d’euros par rapport à 2013 à 3,2 millions – soit l’équivalent de la dotation budgétaire annuelle du Centre culturel de rencontre Abbaye de Neumünster ou 600 000 euros de plus que le budget annuel des Archives nationales… Une somme considérable investie en voyages, campagnes et autres outils de promotion pour valoriser un secteur responsable, il est vrai, non seulement d’une grande partie des recettes de l’État par le biais des taxes et impôts, essentiel pour l’emploi, mais aussi, du moins en partie, pour le stabilité des bonifications AAA que les agences de notation accordent au Luxembourg. Des notations dont le ministre des Finances a plusieurs fois souligné l’importance lors de son intervention.

Ce budget est un budget de transition. Il n’entrera en vigueur que le 1er mai et se base essentiellement sur les préparatifs du précédent gouvernement, « même si nous avions prévu des économies de l’ordre de 300 à 400 millions d’euros dans notre programme pluriannuel » affirme encore Claude Wiseler. La vraie « révolution » budgétaire, avec des réformes plus en profondeur, des économies plus fondamentales – ne serait-ce que pour contrebalancer la perte de revenus de la TVA sur le commerce électronique, soit entre 600 millions et 1,1 milliard d’euros – et même une nouvelle présentation des articles budgétaires, aura lieu en octobre, a promis le ministre des Finances, lors de la présentation du projet de budget d’État pour 2015.

josée hansen
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