Il est difficile de ne pas évoquer la nouvelle présidence hongroise l’UE sans aborder la controverse à propos de deux nouvelles lois qu’elle a adoptées et qui alimentent une polémique grandissante. L’une instaure une taxe de crise temporaire visant les secteurs de l’énergie, des télécommunications, de la distribution et du secteur financier, l’autre concerne l’encadrement des médias. Sur la première, en réponse à une plainte du 15 décembre dernier de treize grands groupes industriels européens (AXA, Allianz, Deutsche Telkom, etc.) dénonçant ces mesures jugées « anti-compétitives » et menaçant de réduire leurs actifs en Hongrie, la Commission a promptement réagi en ouvrant une enquête dès le 3 janvier. En revanche, sur la loi sur les médias, elle s’est bornée à demander de vagues clarifications et a plutôt essayé d’arrondir les angles.
De quoi est-il question ? D’une législation adoptée le 21 décembre dernier qui vise à réorganiser les médias publics et à instituer un Conseil des médias aux pouvoirs assez aberrants : des sanctions financières sévères (jusqu’à 700 000 euros pour les télévisions et 89 000 pour les publications sur Internet), des fermetures aux organes de presse dont les productions « ne sont pas équilibrées politiquement » ou portent « atteinte à l’intérêt public, l’ordre public et la morale ». Des notions on ne peut plus subjectives qui ne sont pas clairement définies et qui permettent à cette autorité composée de cinq membres proches du parti de droite en place, le Fidesz, de museler les médias critiques à l’égard du pouvoir. La loi impose aussi aux journalistes de révéler leurs sources sur les questions relevant de la sécurité nationale. Certains opposants évoquent pour exemple « l’Ice-T gate », né d’une enquête lancée par le Conseil des médias contre la radio privée Tilos, accusée d’avoir passé un titre du rappeur Ice-T. D’autres ont décidé de retourner la loi controversée contre ses défenseurs, comme le petit parti de gauche ecologiste hongrois, le Zöld Balold, qui a saisi, mercredi dernier, le nouveau Conseil des médias (MT) pour incitation à la haine par le journaliste Zsolt Bayer, un proche du Premier ministre. Celui-ci aurait dans un article publié le 4 janvier par Magyar Hirlap, journal proche du Fidesz, fait l’éloge d’un massacre de sympathisants communistes par des miliciens d’extrême droite en 1919 et tenus des propos notoirement antisémites, qualifiant notamment le journaliste Nick Cohen de The Observer, «d’excrément puant».
Les États habitués à jouer les redresseurs de tords, la France et l’Allemagne, ont dénoncé une grave mise en danger de la liberté de la presse en Hongrie et exigé une modification de la loi en cause. Le Premier ministre hongrois conservateur, fort d’une majorité des deux-tiers au Parlement,Viktor Orban, les a exhorté à revenir «à la réalité» et à des propos « rationnels ». « Je ne me souviens pas que la Hongrie ait jamais critiqué la loi française sur les médias », a-t-il souligné, en référence au fait que le pouvoir nomme le président de la chaîne de télévision publique. « Je n’ai jamais dit qu’il s’agissait d’une loi antidémocratique », a-t-il poursuivi. En coulisse, Orban aurait aussi égratigné la chancelière allemande qui a désigné un ancien porte parole à la tête d’une chaîne publique. Si la loi hongroise devait être modifiée, a-t-il encore fait savoir, des modifications similaires devraient être opérées dans d’autres États membre qui ont inspiré cette législation.
Le moins qu’on puisse dire c’est que la Commission a ménagé la Hongrie dans ce dossier. La Commissaire Neely Croes, en charge du dossier, s’est contentée fin décembre de demander des « clarifications » sur le texte qui doit lui être transmis pour examen. Le président de la Commission, José Manuel Barroso, s’est employé à désamorcer la controverse vendredi dernier lors de son entrevue avec la présidence hongroise. D’où le ton beaucoup plus conciliant de Viktor Orban, qui a consenti, pour la première fois, à prendre des mesures correctives si les critiques sur l’application de la loi les rendaient nécessaires, tout en persistant à croire que le dispositif est pleinement conforme aux législations et principes européens.
Mais lors d’une audition organisée le 11 janvier par le groupe libéral au Parlement européen sur la liberté de la presse en Hongrie, la commissaire européenne en charge du dossier, Neelie Kroes, a changé de ton et promis d’agir « rapidement » et « fermement ». Outre l’indépendance politique de l’autorité nationale de contrôle du secteur, elle a surtout évoqué plusieurs autres « problèmes » posés par cette loi : son champ d’application qui pourrait être trop large, puisqu’il concernerait les médias d’autres États membres, ce qui serait contraire à une directive européenne sur les médias audiovisuels, l’obligation de fournir une information « équilibrée », qui s’appliquerait « aux services audiovisuels à la demande, y compris même à une simple vidéo d’un blogueur ». Certes, la pression médiatique et politique – le Parlement a inscrit un débat sur ce sujet lors de la prochaine plénière – sont à l’origine de ce changement, mais reste à voir ce que l’exécutif européen prendra comme dispositions concrètes pour modifier cette loi si nécessaire.
Quoiqu’il en soit, cette présidence ne démarre pas sous les meilleurs auspices, malgré un programme sérieux.