C’est une première. Le Tribunal de l’UE a, le 16 décembre, condamné la Commission en matière quasi-délictuelle à verser à l’entreprise Systran (d’Land du 17.12) une indemnité forfaitaire de 12 001 000 euros pour avoir violé les droits d’auteur et le savoir-faire détenus par celui-ci sur la version Unix du logiciel de traduction automatique qu’il a développé (affaire T-19/07). « C’est un jugement historique. Il nous a fallu six ans de lutte dont 4 de procédure pour obtenir réparation du préjudice que nous avons subi » a déclaré au d’Land Dimitri Sabatakakis, PDG de Systran.
Sa société (française) ainsi que sa filiale luxembourgeoise avait introduit en janvier 2007 une action en réparation devant le Tribunal contre la Commission qui a, lors d’un appel d’offre lancé en octobre 2003, divulgué illégalement son savoir-faire à un tiers et a fait réaliser des développements non autorisés de la version EC-Systran Unix. Le Tribunal a reconnu les torts de la Commission, mais n’a qu’en partie fait droit à leur requête.
Depuis 1975, la Commission utilise ce logiciel de traduction automatique, Systran, développé par Peter Toma et la Société américaine WTC, devenue en 1986, le groupe Systran. En 1987, elle a signé avec ce dernier un contrat de collaboration en vue d’adapter la version spécifique à la Communauté européenne du logiciel initialement sur mainframe. En 1991, elle a mis fin à cette collaboration et pour assurer la maintenance du logiciel, elle a fait recruter des salariés de Systran par les sociétés luxembourgeoises Informalux, puis Telindus. Souhaitant en 1997 migrer son logiciel sur une technologie plus récente, elle a recontacté Systran pour obtenir les nouveaux développements que celui-ci avait fait dans l’intervalle et y intégrer les dictionnaires propres à ses services.
Le 4 octobre 2003, la Commission a lancé un appel d’offres pour la maintenance et le renforcement linguistique de son système de traduction automatique sans consulter Systran. Celui-ci, informé par le journal officiel, a estimé que les travaux envisagés lui paraissaient susceptibles de porter atteinte à ses droits de propriété intellectuelle. L’exécutif européen a considéré que Systran n’était pas en droit de s’opposer aux travaux réalisés par la société Gosselies, qui avait alors remporté l’appel d’offres – et qui n’avait aucune expertise en matière de linguistique informatique. Le fait que le ministre luxembourgeois de l’Économie de l’époque, Henri Grethen, DP, soit actionnaire de Gosselies et son épouse gestionnaire, a vraisemblablement pesé dans ce choix opéré par le fonctionnaire luxembourgeois de la Commission qui a conduit cet appel d’offre.
Le Tribunal constate, tout d’abord, que le litige est de nature non contractuelle. Car si les contrats conclus par le passé avec la Commission ne régissent pas les questions de la divulgation du savoir-faire de Systran ou de la réalisation des travaux susceptibles de porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle de cette société, l’exécutif européen a bien violé les principes généraux communs aux droits des États membres applicables en matière de droit d’auteur et de savoir-faire. Et cette faute est de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union. Aussi, les juges du Tribunal reconnaissent-ils que la Commission doit indemniser Systran du préjudice subi : soit 7 millions d’euros correspondant au montant des redevances qui auraient été dues au titre des années 2004 à 2010 si elle avait demandé l’autorisation d’utiliser les droits de propriété intellectuelle de Systran ; 5 millions d’euros pour réparer l’impact que son comportement a pu avoir sur le chiffre d’affaires réalisé par Systran et 1 000 euros au titre du préjudice moral. Autre « première », le Tribunal précise que la diffusion du communiqué de presse du tribunal permet également de réparer en nature le préjudice moral de Systran.
Si la Commission ne prenait pas les dispositions appropriées pour s’assurer que les droits de Systran soient pris en compte, la société pourrait à nouveau revendiquer une indemnisation du préjudice qu’elle pourrait encore subir.
« Le tribunal de l’UE a rétabli les droits de propriété intellectuelle de Systran », se félicite le PDG de Systran, qui tire son chapeau à la justice européenne. Mais, en tant que citoyen européen, il déplore « que la Commission ait refusé un règlement à l’amiable et n’ait pas pris en compte l’intérêt général de l’Union ». Même si « le préjudice réel de la société est de très loin supérieur à l’indemnité de 12 millions d’euros octroyée par le Tribunal, je suis satisfait que cette décision ». Il rappelle en effet qu’outre les licenciements, les pertes liées à la cessation d’activité de Systran Luxembourg et au manque à gagner lié au marché attribué à Gosselies (1,170 million d’euros), la société a vu ses titres se déprécier pour environ 10 millions d’euros. Elle a aussi beaucoup souffert du discrédit qu’a jeté ce litige qui lui a fait « perdre des opportunités considérables ». Les marchés ont salué cette nouvelle : quasiment dès le prononcé de l’arrêt le cours de l’action Systran repartait à la hausse (+5,04 pour cent).
Christoph Nick
Catégories: L'Union
Édition: 23.12.2010