Au beau milieu de Senningen, dans la commune de Niederanven, en fin d’après-midi d’un vendredi caniculaire. Un étrange spectacle se déroule dans un champ jouxtant l’arrière de l’église paroissiale. Au sol, vision apocalyptique, les herbes sont noires, comme brûlées, carbonisées sur quelques milliers de mètres carré. Les deux responsables, l’artiste suisse Saype et son collaborateur Simon admirent leur œuvre via une tablette reliée à un drone qui survole les lieux. Le résultat est stupéfiant. Les herbes qui paraissent brûlées sont en fait peintes. L’œuvre est si immense que l’on devrait monter à quinze de mètres de haut pour pouvoir l’admirer dans son ensemble. Cette peinture sur herbe représente un vieux berger avec une petite fille et est inspirée d’un conte de Jean Giono, L’homme qui plantait des arbres. La peinture utilisée, avec des variantes du noir et du gris a été spécialement conçue par l’artiste à base de charbon ou de farine, en somme une peinture totalement biodégradable.
Les deux compères effectuent cette performance dans le dans le cadre du Kufa’s Urban Art Festival. Cette nouvelle édition, ambitieuse à plus d’un titre, se déroule cette année sur quatre pays et dix villes, dont Niederanven donc. Saype est souvent présenté comme étant un chantre du land art, ce qui n’est techniquement pas le cas dans la mesure où il n’utilise pas des éléments de la nature. Il peint sur l’herbe comme on peindrait sur un mur. Ses œuvres sont éphémères et durent quelques mois au mieux. Mais après tout, les graffitis aussi s’effacent sur les murs délabrés, le principe reste identique. Cette nouvelle œuvre retranscrit donc une photographie prise par l’artiste et s’inscrit dans un projet utopiste et écologique de plus grande ampleur. Samedi 1er juillet, lors de la clôture du festival, des sacs de graines seront en vente et permettront ainsi aux plus nombreux de planter des arbres tout comme les héros de Saype et de Giono. Les deux artistes décompressent quelques minutes et se remémorent certaines de leurs péripéties, notamment la fois où des trous de taupes sont venus affecter une œuvre, laissant au personnage peint un visage grêlé. En attendant, la pause est terminée, ils sont pressés et doivent s’en aller. Ils vont commencer une autre œuvre à Wiltz, œuvre qui sera visible durant un court laps de temps dans le monde entier. En effet, le tour de France va passer par là et les hélicoptères des équipes d’enregistrement auront l’occasion d’immortaliser l’éphémère.
En France, à quarante kilomètres de là, dans la commune de Thil, d’où est originaire l’auteur de ces lignes, deux artistes s’approprient les lieux. Caiacoma, du Luxembourg et Chekos’Art, d’Italie. Dans le récent lotissement des Hauts de Thil, deux transformateurs électriques se retrouvent colorés et à l’effigie de grandes figures féminines du vingtième siècle. Sont représentées Marie Curie, Lucie Aubrac, Edith Piaf, Rosa Parks et Angela Davis. L’aspect kaléidoscopique tranche avec le lieu où se suivent et se ressemblent d’innombrables maisons grises. Un peu plus bas, on repeint la façade de l’école Paul Langevin. La commune, qui est plutôt habituée à abriter des œuvres d’enfants de la ludothèque communale ou bien des gribouillages d’artistes du dimanche locaux, se fait une peau neuve.
Cette année, ce sont une vingtaine d’artistes du monde entier qui ont eu pour mission de réaliser des œuvres d’art aux quatre coins de la Grande Région. Fred Entringer, du pôle pédagogique de la Kulturfabrik et coordinateur du projet se souvient de la première édition de 2014. « Notre ambition était d’abord de redécorer la cour intérieure de la Kulturfabrik. Nous voulions renvoyer une image plus colorée, plus dynamique. Nous avons ainsi invité quelques artistes européens pour intervenir sur nos murs. Des workshops et des dizaines d’activités ont suivi. On a voulu clôturer ce festival en proposant une animation musicale, une buvette et cela a eu un large succès ».
Des quelques milliers d’euros de budget de la première édition, aujourd’hui, seulement quelques années plus tard, ce sont près de 300 000 euros qui ont été alloués au festival par le biais de nombreux partenaires, une cinquantaine, notamment au niveau local. Selon Fred Entringer, le succès de ce festival s’explique surtout par l’accessibilité que représente encore le street art. « Évidemment les arts urbains permettent la démocratisation de l’art. Nous jouons en fait sur l’appropriation de l’espace public en tant que laboratoire artistique. Quelqu’un qui ira à la boulangerie un matin et qui ne s’attendait pas forcément à entrer en contact avec de l’art pourra se retrouver par hasard nez-à-nez avec une fresque de cinq cent mètres carré. Forcément il y aura une réaction, un véritable dialogue ».
Outre les villes déjà citées, une dizaine d’artistes s’approprient évidemment la ville organisatrice, Esch-sur-Alzette. Pendant que Natalia Rak, une artiste polonaise, s’occupe de la Poste du Boulevard Pierre Dupong, Vera Primavera d’Équateur et Daniel Mc Lloyd, artiste autochtone, se chargent respectivement de l’école du Brill et de son annexe. Les curieux sont nombreux et les enfants abondants. Certaines œuvres détonnent, d’autres paraissent inégales, mais les commentateurs feront le tri, comme toujours.