Plan hospitalier

Nouveau concept

d'Lëtzebuerger Land vom 02.12.1999

Ce texte est une réaction à l'article « Nœud gordien » du Dr Philippe Turk, paru dans d'Land n° 47/99 (note de la rédaction)

La Santé est un des premiers chantiers que le nouveau gouvernement a décidé d'ouvrir. Déjà pendant les négociations de coalition un moratoire concernant le plan hospitalier était décidé. Une mesure indispensable pour remettre à plat une construction essentiellement politique où l'intérêt sanitaire du pays ne jouait qu'un second rôle.

L'équilibre entre les secteurs public et privé était l'un des leitmotiv des dernières législatures alors que paradoxalement, le financement était le même pour les deux : 80 pour cent à la charge du budget de l'État, vingt pour cent à la charge de l'Union des Caisses de maladie (UCM).

Des intérêts politiciens locaux prenaient le pas sur l'avis des experts et des compensations furent promises sous forme de demi-services nationaux sans tenir compte de la faisabilité médicale et économique.

Quelques jours avant les élections nationales du 13 juin 1999, une loi fut votée à la va-vite autorisant l'État à participer au financement des grands projets hospitaliers et attribuant 23 milliards de francs à des projets figurant dans un plan hospitalier qui n'avait pas été soumis à la Chambre des députés.

Le nouveau ministre de la Santé veut faire durer le moratoire jusqu'à la mi-2000 et soumettre un nouveau plan hospitalier avant les grandes vacances. Son objectif déclaré est d'offrir à la population « l'ensemble des prestations et services hospitaliers utiles, nécessaires et de la meilleure qualité possible tout en évitant le double emploi et notamment la redondance de services spécialisés ».

Cette démarche est une chance pour développer au Luxembourg un nouveau concept hospitalier centré sur le patient en tant que personne, la qualité médicale des soins ainsi que sur l'équilibre financier. La meilleure qualité au meilleur prix sont deux notions nullement contradictoires en médecine hospitalière.

La discussion récente sur le financement des déficits de l'UCM montre bien la place des hôpitaux qui consomment quarante pour cent du budget. L'État a limité son apport par voie législative. Les patients, par l'intermédiaire de leurs syndicats, refusent d'autres augmentations de cotisations et davantage de participation financière aux soins. Les patrons s'opposent à l'augmentation de leurs contributions pour rester compétitifs. Les fournisseurs, c'est-à-dire les médecins, les pharmaciens, les kinésithérapeutes, les opticiens,… mais aussi le personnel conventionné des hôpitaux ne comprennent pas pourquoi ils devraient contribuer à financer une mauvaise planification des infrastructures de santé. Car c'est aussi de cela qu'il s'agit.

Rien que la participation de l'UCM aux investissements coûtera des milliards supplémentaires sans parler des frais de fonctionnement qui lui incomberont en entier. A-t-on jamais estimé ces frais d'exploitation autrement plus conséquents que le coût des constructions ? Le gouffre financier prévisible est immense et le nouveau plan hospitalier devra en tenir compte.

Le nouveau modèle du financement des hôpitaux par budget prévisionnel donne à l'UCM les moyens d'une gestion financière prospective du secteur hospitalier. Pour cela elle doit être associée à l'élaboration du plan hospitalier.

Ses bases de données permettront un jour d'évaluer le coût non plus d'une journée d'hospitalisation ou d'un passage sur la table d'opération mais celui de la pathologie, de la maladie depuis son diagnostic jusqu'à la fin du traitement. Elle pourra alors comparer les coûts d'un établissement à l'autre.

L'UCM est gérée par les payeurs de la Santé qui sont les partenaires sociaux et l'État. On peut critiquer que les décisions de rationnement se prennent actuellement sans la participation des fournisseurs et surtout sans l'avis d'un comité de sages composé de scientifiques capables d'éclairer les décideurs sur les conséquences sanitaires de leurs décisions.

Du point de vue organisationnel, le secteur hospitalier vit les derniers jours de l'Ancien Régime. Les indicateurs classiques ne comptent plus guère. Le nombre de lits aigus est faussé par la quantité de patients chroniques qui les occupent. Le taux d'occupation moyen peut l'être par un manque de chambres à un lit. La durée moyenne de séjour dépend de la sélection des patients, de l'activité ambulatoire et de l'hospitalisation de jour dans l'établissement.

Un nouveau concept hospitalier devra tenir compte de la lourdeur de la pathologie, de la durée moyenne de séjour par rapport à cette pathologie et du taux de transfert vers l'ambulatoire. Le vieillissement d'année en année de patients hospitalisés porteurs souvent d'une co-morbidité importante nécessite des adaptations de certains services à l'image de celui d'orthopédie où les progrès sont tels qu'on peut opérer des patients de plus en plus âgés parmi lesquels cependant existent des problèmes cardio-vasculaires, un diabète, des traitements complexes, etc.

Les progrès médicaux, techniques, diagnostiques et thérapeutiques ont obligé les médecins à se spécialiser et même à se sur-spécialiser. Le risque est grand de voir le patient être découpé en tranches, chaque tranche ignorant le sort de sa voisine ! Le malade n'y trouverait plus son compte, il ne serait plus reconnu dans sa globalité. D'où la nécessité pour les médecins de constituer des groupes pluridisciplinaires comportant la possibilité de disposer de l'ensemble des spécialistes concernés.

Un nouveau concept hospitalier doit donner une réponse cohérente à un problème de santé du patient dans un ensemble structuré de services et de prestations. Cette réponse cohérente pourrait être constituée de programmes de soins visant des groupes cibles tel le patient cardiaque, le patient oncologique, le patient en état critique, la mère et le nouveau-né, etc. Les programmes adaptés aux différents groupes devraient contenir le type de soins, la description de l'infrastructure spécifique néces-saire, les normes qualitatives et quantitatives du personnel médical et paramédical, les normes de qualité et afférentes au suivi de la qualité, le seuil minimum d'activité pour garantir expertise et qualité. En fonction des disponibilités médicales, infirmières, paramédicales et techniques, un hôpital déterminé aura accès à un niveau défini d'un programme de soins.

Les hôpitaux devraient s'associer car un hôpital seul ne pourrait pas satisfaire à l'ensemble des programmes de soins possibles.

Un modèle existera bientôt au Luxembourg au niveau de la cardiologie où l'Institut national de Cardiochirurgie et de Cardiologie interventionnelle présente un programme complet d'explorations invasives et d'interventions cardiaques auquel il est prévu d'associer l'ensemble des hôpitaux et cliniques du pays. Répartir cette activité entre plusieurs établissements reviendrait à diluer expertise médicale et moyens au détriment des patients. Des modèles similaires sont programmés pour 

la radiothérapie (Centre Baclesse) ainsi que pour la réhabilitation fonctionnelle (Reha-Zenter).

D'autres modèles à créer pourraient servir aux patients chroniques atteints de diabète, de troubles rénaux nécessitant des techniques de dialyse et la transplantation rénale, aux patients atteints d'un cancer, aux patients psychiatriques.

Un centre mère/nouveau-né regroupant les ressources humaines et techniques pour l'exploration et le traitement de l'infécondité (service de procréation médicalement assistée), la surveillance des grossesses à risque (service de médecine fœtale), le traitement de la douleur obstétricale, la maternité, la prise en charge des prématurés et des nouveau-nés malades (néonatologie), la chirurgie néonatale, etc. aurait une dimension non plus nationale mais attractive pour la population de la grande région.

À côté d'un programme de soins de base, les hôpitaux devraient se répartir entre eux les programmes hautement spécialisés.

Il y aurait ainsi entre les hôpitaux moins de concurrence mais plus de complémentarité. Ils ne pourraient plus tout faire mais devraient mieux faire.

Les autorités devraient reconnaître et soutenir l'effort d'enseignement et les travaux scientifiques fournis par le Centre hospitalier qui grâce à son ouverture vers les milieux universitaires étrangers empêche l'isolement scientifique au niveau médical et favorise en fin de compte la qualité pour le patient.

Un nouveau concept hospitalier est nécessaire pour des raisons scientifiques et économiques. Il nécessite impérativement la collaboration des professionnels de la Santé, notamment des médecins qui devraient avoir des garanties concernant leur statut de médecin hospitalier libéral ou plein-temps salarié. Moyennant convention, ils devraient avoir accès aux plateaux médico-techniques d'un autre hôpital que celui auquel ils sont agréés.

L'association entre établissements hospitaliers devrait dépasser la simple synergie et nécessite de nouvelles structures administratives. La « Vorarlger Krankenhausbetriebsgesellschaft » qui vient d'être présentée à Luxembourg sur invitation du ministre de la Santé représente une voie à explorer.

À côté des répercussions économiques favorables dues à une gestion commune des ressources et à l'abolition des doubles emplois, les conséquences intéressant directement le patient seraient la nécessité pour les médecins de travailler en équipe d'où une meilleure expertise et une plus grande qualité.

En conclusion, je cite un médecin-directeur d'un hôpital universitaire belge :

« À tout cela il faut encore ajouter l'exigence du patient et de sa famille. Avant, la grande majorité des malades étaient ignorants des problèmes médicaux. Grâce à la formidable information par les médias de tout ordre et plus récemment par les développements informatiques, le malade et son entourage ont accès aux données les plus récentes de la médecine. La littérature médicale est à la portée de tout internaute et certains ne s'en privent pas.

Enfin il est indispensable de toujours se remettre en question. En effet jusque il y a peu, le médecin devait uniquement justifier les moyens mis en œuvre. Maintenant, de plus en plus, il y a exigence du résultat. C'est une notion fondamentale qui à elle seule sera la cause d'un changement d'attitude ».

Il faut développer des analyses de qualité, mettre en place des programmes destinés à améliorer celles-ci en proposant des solutions et en vérifiant les résultats obtenus par rapport aux objectifs définis. Il faut avouer humblement que nous n'avons actuellement au Luxembourg aucune tradition d'évaluation qualitative de la médecine. Les programmes incitants-qualité promus par l'UCM et l'EHL sont la première démarche dans la bonne direction.

Mais il n'y a pas que l'aspect purement médical qui importe, le patient a aussi des exigences d'accueil, d'accompagnement, de qualité de séjour et de qualité de l'information reçue.

C'est vraiment tout un nouveau concept hospitalier à faire passer !

* L'auteur est directeur médical du Centre hospitalier et député du Parti démocratique

Marco Schroell
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