En déposant lundi dernier le projet de loi n° 4507 autorisant l'État à participer au financement de la modernisation, de l'aménagement ou de la construction de certains établissements hospitaliers, le ministre de la santé Georges Wohlfart est resté dans la ligne politique prétracée par son prédécesseur Johny Lahure. Le projet de loi prévoit une enveloppe de près de vingt milliards de francs pour participer, financièrement, à quinze projets hospitaliers. Or, parmi les quinze projets énoncés dans le projet de loi, plusieurs sont déjà commencés, quelques-uns se trouvent dans une phase de planification, d'autres ne devraient se réaliser qu'une fois le plan hospitalier mis en exécution par voie réglementaire. Le règlement grand-ducal y afférent fait toutefois toujours défaut.
Ainsi, le ministère de la Santé compte subvenir à hauteur de 1 525 00 000 francs à la construction du Centre national de rééducation fonctionnelle et de réadaptation, prévu au site de Dudelange-Frankelach, un site contaminé qui a récemment été remis en question. Le projet est décrit, dans le commentaire des articles, comme une «nouvelle construction sous avis à la Commission permanente pour le secteur hospitalier». Ce comité, créé par la loi du 28 août 1998 sur les établissements hospitaliers a pour mission d'aviser les projets de plan hospitalier national, les demandes d'aide financière, les demandes d'autorisation ainsi que les projets de règlement concernant la détermination des normes en vigueur pour les établissements hospitaliers. En d'autres termes, la Commission permanente pour le secteur hospitalier n'a pas encore rendu son verdict que déjà, le projet devrait être assuré de la subvention financière de l'État.
Un problème du même ordre se pose en ce qui concerne la réalisation de l'hôpital François-Élisabeth, la clinique congréganiste prévue au Kirchberg. Ce «très grand hôpital» est le fruit des âpres négociations auxquelles se sont livrées les autorités publiques et religieuses lors de l'élaboration du nouveau plan hospitalier (cf. d'Letzeburger Land n° 7/98). Ce plan hospitalier prévoit la création de quatre «pôles hospitaliers lourds», un dans la région Nord (les hôpitaux à Wiltz et à Ettelbruck), un dans la région Sud (Ste Marie et l'hôpital de la ville à Esch-sur-Alzette ainsi que l'hôpital de la ville de Dudelange) et deux dans la région Centre. Le centre hospitalier étant sans contestation un des deux hôpitaux lourds prévus au Centre, l'autre revient d'office au secteur congréganiste.
Dans l'exposé des motifs du projet de loi n° 4507, l'auteur, c'est-à-dire le ministère de la Santé, note que «l'infrastructure hospitalière souffrait de façon notoire de problèmes de vétusté et de non-adaptation aux normes de sécurité et d'hygiène, telles qu'elles avaient évolué. De surcroît un certain nombre d'hôpitaux étaient en retard par rapport à l'évolution technique» pour expliquer l'urgence des demandes de rénovation, modernisation ou nouvelles constructions émanant des différents hôpitaux.
Cette remarque résume de fait la situation des hôpitaux congréganistes au Centre. Les infrastructures existantes à l'hôpital Ste Élisabeth et à l'hôpital du Sacré-Coeur, faute d'investissements en temps utile, ne permettaient pas de créer sur ces bases le «pôle hospitalier lourd», d'où l'idée de construire un «très grand hôpital» au Kirchberg. L'initiative émane de l'archevêché qui soutient à fond la Fondation François-Élisabeth (composée des cliniques du Sacré Coeur et Ste Élisabeth), le maître d'oeuvre de l'hôpital François-Élisabeth prévu à Kirchberg. Dans un premier temps, l'hôpital Ste Thérèse devait participer au projet. Mais, l'impression prévalait que le seul rapatriement des services offerts par la clinique Ste Thérèse au profit de la clinique congréganiste à construire intéressait la fondation. D'où la décision des soeurs carmélites de la clinique Ste Thérèse (qui d'ailleurs ne dépendent pas de l'archevêché, mais directement du Vatican, ce qui explique certaines embrouilles sur le plan ecclésiastique national) de ne pas participer au projet. Étant le seul hôpital du secteur privé à avoir effectué de gros investissements ces deux dernières décennies, il était hors de question de perdre une certaine autonomie par rapport aux deux autres hôpitaux.
Le résultat en était que la clinique Ste Thérèse devrait perdre, selon le plan hospitalier prévu, certains agréments ministériels concernant des services spécialisés. Le nouveau plan hospitalier dispose que seul un service spécialisé peut dorénavant être offert par région, un deuxième pouvant être accordé par le ministère. Le Centre hospitalier possédant la grande majorité des services régionaux pour le Centre, le deuxième pôle hospitalier lourd, pour avoir une raison d'être - et sur le plan hospitalier et sur le plan économique - doit impérativement recueillir les services régionaux. Ce qui a amené le ministre de la Santé Johny Lahure à refuser le renouvellement des agréments concernant les services existants à la clinique Ste Thérèse au profit de l'hôpital François-Élisabeth. La clinique Ste Thérèse a introduit plusieurs recours, qui n'ont pas encore aboutis, contre la décision ministérielle devant les juridictions administratives.
Le ministère a ainsi, avant de connaître la décision des juges qui pourrait compromettre l'existence du «très grand hôpital», accordé une première enveloppe financière à ce projet.
Le projet de loi n° 4507 se base sur la loi du 28 août 1998 sur les établissements hospitaliers, et notamment de son article 15 qui institue un fonds spécial des investissements hospitaliers.
L'article 15 de la loi sur les établissements instaurant un fonds pour le financement d'infrastructures hospitalières est de fait une nécessité faisant suite aux dysfonctionnements comptables qui avait amené la démission de Johny Lahure comme ministre de la Santé. Ce fonds, dont la loi sous projet est une première application, vise à éliminer la pratique des comptes bloqués qui ouvraient la porte aux abus. Il est dès lors compréhensible que le projet de loi n°4507 était attendu d'urgence pour rattraper en quelque sorte les engagements pris antérieurement par l'État pour des projets qui étaient déjà en cours de réalisation, comme c'est le cas par exemple pour l'hôpital de la ville d'Esch-sur-Alzette où les travaux de modernisation ont commencé voici plus d'un an. Le fait d'anticiper en regroupant un grand nombre de projets dans ce projet de loi - une loi étant un instrument lourd pour s'adapter rapidement à un besoin - peut s'expliquer. Mais il semble que Georges Wohlfart, en assumant l'héritage Lahure/Reimen, est allé un peu vite en besogne, en voulant coûte que coûte parachever l'oeuvre entamée par ces deux derniers. Sur les quinze projets énumérés, cinq se trouvent en état de préprojet ou de projet sous avis auprès des experts, cinq profitent d'une autorisation de principe du conseil de gouvernement, un se trouve sous avis à la Commission permanente du secteur hospitalier, trois autres bénéficient de l'autorisation du ministère de la Santé.
Le ministère semble vouloir, en ce qui concerne les projets contestés, créer des situations de fait en anticipant sur leur réalisation.