Lorsque le gouvernement décida, en 1992, de réorganiser le secteur hospitalier, le mot d'ordre était de rechercher des synergies et des regroupements entre les hôpitaux tout en créant quatre « hôpitaux lourds »
Pour transposer cette ligne directrice, le gouvernement décida d'établir un équilibre entre le secteur public, dépendant du ministère de la Santé, et le secteur privé, géré presque en totalité par des Congrégations religieuses.
S'ensuivit alors une délégation de pouvoir pour négocier le nouveau plan hospitalier: le Parti chrétien-social donna mandat à l'archevêché pour défendre les intérêts des cliniques congréganistes, tandis que le ministre de la Santé donna carte blanche à Marcel Reimen en ce qui concerne les établissements publics.
L'enjeu est de taille: le nouveau plan hospitalier prévoit un « hôpital lourd » au Sud du pays, un au Nord et deux dans la région Centre. Ces pôles regrouperont les services nationaux et régionaux (dont certains restent à créer), tandis que les hôpitaux ne faisant pas partie de ces pôles rempliront un rôle complémentaire respectivement de services spécialisés. En d'autres termes, d'aprés la volonté des responsables, certains établissements ne faisant pas partie des nouveaux pôles devront abandonner certains de leurs services qui seront concentrés au niveau des dénommés hôpitaux lourds.
Le Centre Hospitalier de Luxembourg (CHL) étant sans contestation un des deux hôpitaux lourds prévus dans la région du Centre, l'autre revient d'office au secteur privé. Les hôpitaux congréganistes ont vu grand: leur vision, pour laquelle l'archevêché s'est dévoué corps et âme, s'appelle Clinique Congréganiste du Kirchberg (CCK). Fin 1992, le ministre de la Santé donna son accord à l'archevêque pour la réalisation de ce projet, lui conférant même une priorité absolue.
Au même moment, la Caritas, l'archevêché, la Fondation François-Élisabeth (FFÉ) qui regroupe les Cliniques du Sacré-Cur et Ste Élisabeth, ainsi que, finalement et sur insistance des autres membres, la Clinique Ste Thérèse (Zitha) créent l'Association des cliniques des congrégations religieuses (ACCR) qui se révélera être de facto un instrument pour créer la CCK. À la tête de cette association se trouve le docteur Raymond Lies, déjà président de la FFÉ et de la Clinique Ste Marie d'Esch. C'est lui aussi qui préside la CCK (tâche qui lui rapporte d'ailleurs 300 000 francs mensuels, provenant des fonds publics pour le financement de la CCK, en sus de ses autres rémunérations). La CCK devrait en effet rapporter gros aux différentes congrégations qui y participent: elles restent en possession de leurs anciens murs et terrains, tandis que l'État leur finance à hauteur de 80 pour cent le projet de « très grand hôpital » estimé à quelque neuf milliards de francs.
Or, dans les rangs de l'ACCR, qui agit sous l'impulsion du docteur Raymond Lies, la Zitha fit montre d'un certain scepticisme en ce qui concerne la réalisation de la CCK. L'intégration de tous les services jusque-là fournis dans les différentes cliniques est la seule solution envisageable pour que la CCK ait une raison d'être. Or, la Zitha, la seule clinique du secteur privé a avoir effectué de gros investissements ces derniers temps, se retrouvait dès le départ mis en marge par la FFÉ. L'impression que le seul rapatriement des services offerts par la Zitha au profit de la CCK intéressait l'ACCR devint de plus en plus une évidence. Les surs carmélites (qui de surcroît ne dépendent pas, comme les autres ordres, de l'archevêché, mais directement du Vatican) décidèrent alors de ne pas participer au projet de la CCK. En 1993, le Comité national du PCS, se faisant le porte-parole de l'archevêché, retenait ainsi que la Zitha devait devenir un hôpital complémentaire aux hôpitaux lourds que sont le CHL et le CCK.
Du côté des hôpitaux publics, la Clinique d'Eich, connaissant à l'époque une très mauvaise situation financière, décida de se rallier au CHL. À terme, il est prévu que des petites spécialités restent à Eich tandis que les autres services sont transférés vers le CHL. Le but de Marcel Reimen, créer un soi-disant « axe Nord-Sud » d'hôpitaux publics (cf. Schéma Partage du secteur hospitalier) prenait forme: les Cliniques St Louis à Ettelbruck et St Joseph à Wiltz assurent la présence hospitalière publique dans la région du Nord, le CHL est la base du système dans la région Centre, la synergie entre la Clinique Ste Marie à Esch (privé) et les hôpitaux d'Esch-sur-Alzette et de Dudelange dans la région Sud (la finalité de l'Hôpital Princesse Marie-Astrid de Differdange n'étant pas encore définie) parachèvent la réalisation de l'objectif.
Restait pour le Dr Raymond Lies et Marcel Reimen de trouver un accord sur le partage des services offerts dans les établissements. Ce partage étant réalisé dans les régions Sud et Nord, restait la délicate question du Centre et le sort de la Zitha. C'est ainsi qu'est née la nouvelle définition de l'« hôpital principal ». Si l'ancienne définition prévoyait qu'un hôpital principal devait assurer les services de base en médecine interne et en chirurgie, les nouveaux textes y ajoutent la psychiatrie et la gynéco-obstétrique ainsi que la pédiatrie. Le duo Lies-Reimen a ainsi de facto déclassé la Zitha, et par l'achat de la clinique privée du Dr Bohler (pour un milliard de francs, plus la mise à disposition de nouveaux locaux au Kirchberg), la CCK possédera tous les services nécessaires. De plus, une convention entre le CHL et la CCK, signée par le duo Lies-Reimen, arrête, au détriment de la Zitha, qu'« un droit de préférence [est accordé] à l'hôpital du Kirchberg quant à l'implantation de nouveaux services nationaux ».
Une nouvelle définition est aussi trouvée en ce qui concerne les services spécialisés, avec entre autres la précision qu'un seul service spécialisé est prévu par région, mais que le ministre peut en autoriser un deuxième. Étant donné que le CHL possède la grande majorité des services, la concurrence pour l'obtention d'un deuxième service joue entre la Zitha et la CCK. Avec un avantage majeur pour cette dernière, étant donné qu'à aucun moment, l'ACCR, qui normalement doit défendre les intérêts de ses membres, n'est intervenue en faveur de la Zitha. « L'ACCR a tout vendu, notre clinique incluse, pour obtenir la CCK » dit, laconiquement, Philippe Turk, président du Conseil médical de la Zitha annonçant simultanément que sa clinique pourrait sortir de l'ACCR.
Impuissant quant à l'attitude de l'ACCR qui n'a rien fait pour que la Zitha garde son statut, son autonomie et les services offerts, au contraire, la clinique a introduit une demande d'agrément pour tous ses services existants, ce qui lui a été refusé par le ministre. D'où l'introduction de pluieurs recours, devant le Conseil d'État en son temps, aujourd'hui devant la Cour et le Tribunal administratif, qui n'ont pas encore aboutis.
L'amertume est d'autant plus grande que la Zitha avait, en son temps, posé sa candidature pour obtenir le service national de la radiothérapie. L'ACCR n'ayant pas soutenu ce projet, le service - que le ministère voulait dans la région Sud - a intégré l'Hôpital de la ville d'Esch-sur-Alzette. De plus, le mode de fonctionnement du service national, tel que présenté dans le dossier de la Zitha, a été copié tel quel. C'est ainsi que les services nationaux sont constitués par des a.s.b.l., où toutes les cliniques sont membres et représentées et dans le conseil d'administration et dans le conseil scientifique, ce qui assure une autonomie administrative du service par rapport à la localisation.
Si le constat que la Zitha a été trahie par les siens, c'est-à-dire par les négociateurs de l'archevêché s'impose, il reste que le plan hospitalier, tel qu'il est prévu par le règlement grand-ducal, se base uniquement sur des considérations politiques. Le ministère de la Santé n'a en effet à aucun moment cherché à fonder la réorganisation du secteur hospitalier sur les bases des structures existantes (la Zitha étant le meilleur exemple), mais a fait la concession de la CCK à l'ACCR, obtenant par là l'assurance que le service public ne sera pas concurrencé par les hôpitaux congréganistes. Ce constat s'impose d'autant plus que le ministère ne dispose actuellement d'aucun instrument de mesure, ni quantitatif, ni qualitatif, de l'efficacité des hôpitaux. Les éléments quantitatifs gérés par la Sécurité sociale, le éléments qualitatifs, tels que la durée moyenne de séjour, le nombre d'infections en milieu hospitalier, le taux de mortalité lors d'interventions ainsi que la prise en compte des services existants, sont des instruments qui devraient à l'avenir guider la politique hospitalière.