Sauf surprise, la redéfinition du paysage hospitalier grand-ducal telle que voulue par la majorité gouvernementale sera entérinée par le Parlement la semaine prochaine. Par des textes législatifs qui sont loin d'être parfaits, chrétiens-sociaux et socialistes comptent parachever le «partage» du secteur hospitalier tel qu'ils l'avaient déterminé. De fait, l'ossature du projet de règlement grand-ducal établissant le plan hospitalier a été arrêtée du temps du ministre de la Santé Johny Lahure et est l'uvre d'âpres négociations de son ancien administrateur général Marcel Reimen et des congrégations religieuses qui s'étaient faites épauler par l'archevêché.
Pour la majorité gouvernementale l'enjeu est de taille. Le ministère de la Santé, aux mains des socialistes ces trois dernières législatures, peut ainsi réaliser son objectif d'un «axe Nord-Sud» du secteur hospitalier public avec une présence prépondérante dans la région Sud. L'archevêché, par le Parti chrétien-social interposé, en réalisant le projet de l'hôpital congréganiste du Kirchberg, arrive à son tour à ses fins.
Mais si les principes de base du nouveau plan hospitalier sont somme toute logiques, il n'en reste pas moins que la clef du partage est éminemment politique. Le Grand-Duché reste ainsi divisé en trois régions hospitalières, la région Nord, la région Centre et la région Sud. Lorsque les nouveaux textes entreront en vigueur, chaque région disposera d'un hôpital principal - deux hôpitaux principaux en ce qui concerne la région Centre - et de plusieurs hôpitaux régionaux ou locaux. Les établissements hospitaliers spécialisés seront répartis sur les trois régions.
La (nouvelle) clinique Saint Louis à Ettelbruck, appartenant au secteur public, sera l'hôpital principal de la région Nord, la clinique Saint Joseph à Wiltz (appartenant au secteur public) officiera en tant qu'hôpital régional. La présence hospitalière au Nord sera d'ailleurs entièrement assurée par l'État par l'établissement hospitalier spécialisé qu'est le Centre hospitalier neuropsychiatrique d'Ettelbruck qui vient d'obtenir son nouveau statut. A priori, rien ne change pour la région Nord où les congrégations avaient depuis longtemps abandonné l'exploitation de leurs hôpitaux à l'État.
La région Sud sera elle aussi dominée par le secteur hospitalier public. L'hôpital de la ville d'Esch-sur-Alzette (qui devrait accueillir le Centre national de radiothérapie, un service national à créer) deviendra hôpital principal et l'hôpital Princesse Marie-Astrid de Differdange aura fonction d'hôpital régional. La clinique congréganiste Sainte Marie d'Esch-sur-Alzette sera «déclassée» au rôle d'hôpital local, l'hôpital de la ville de Dudelange assurera cette même fonction. La perte d'importance de la clinique Sainte Marie s'explique aisément par le projet de l'hôpital congréganiste du Kirchberg (HCK) - le président du conseil d'administration de la clinique Sainte Marie, le Dr Raymond Lies, est identique au président du conseil d'administration du futur exploitant de l'HCK, la Fondation François-Élisabeth, et au président de l'association des cliniques des congrégations religieuses, qui est le grand lobbyiste de l'HCK. En ce qui concerne l'hôpital de la ville de Dudelange, son futur rôle d'hôpital local a été dicté par le choix d'implanter dans la même commune de Dudelange le Centre de rééducation fonctionnelle et de réadaptation. Dudelange, Esch-sur-Alzette et Differdange, trois communes à majorité socialiste, sont donc bénéficiaires du plan hospitalier.
Deux hôpitaux principaux domineront la région Centre. D'un côté, le Centre hospitalier, de l'autre l'hôpital congréganiste du Kirchberg. La réalisation de ce projet d'une dizaine de milliards de francs, financé à hauteur de 80 pour cent par l'État, regroupera les cliniques Sainte Élisabeth et Sacré-Cur ainsi que la clinique Saint François. Les bénéfices pour les congrégations sont multiples. Outre une toute nouvelle infrastructure hospitalière, une convention entre le Centre hospitalier et la Fondation François-Élisabeth signée entre Marcel Reimen et le Dr Raymond Lies arrête qu'«un droit de préférence [est accordé] à l'hôpital du Kirchberg quant à l'implantation de nouveaux services nationaux». En d'autres termes, il est d'ores et déjà acquis que le futur Institut national de chirurgie cardiaque et de cardiologie interventionnelle sera intégré à l'hôpital congréganiste du Kirchberg. De plus, les congrégations resteront propriétaires de leurs anciens murs qui seront utilisés comme foyer de gérontologie - et continueront donc à être subventionnées par l'État.
La réalisation de l'hôpital congréganiste au Kirchberg et la présence en force du secteur hospitalier public au Sud sont donc le cur du nouveau plan hospitalier qui a été « construit » autour de cette prémisse.
Ce partage ne s'est toutefois pas fait sans heurts. Les auteurs du plan hospitalier ont souligné que la raison d'être d'un ensemble hospitalier comme l'hôpital congréganiste du Kirchberg réside dans le fait qu'il cumule en son sein un certain nombre de services spécialisés et nationaux. D'après les nouvelles définitions, ces services ne sauront être dispensés ailleurs que dans un hôpital principal que seront, au centre, le Centre hospitalier et l'hôpital congréganiste du Kirchberg.
Or, la clinique Sainte Thérèse, opposée au projet de l'hôpital congréganiste du Kirchberg, a introduit plusieurs recours contre le refus ministériel (de l'époque Lahure) d'accorder les agréments pour leurs services existants et susceptibles d'être transférés vers le nouvel hôpital congréganiste.
Les responsables de la clinique Sainte Thérèse - le seul hôpital congréganiste à avoir réalisé des investissements substantiels - voient leur avenir compromis. Aucune décision n'a encore été prise par le Tribunal, respectivement la Cour administrative dans ce dossier. Toutefois, si les juges suivaient l'argumentation de la Clinique Sainte Thérèse, la raison d'être de l'hôpital congréganiste du Kirchberg ne serait plus, faute de services offerts, la prolifération de ces derniers « n'étant pas dans l'intérêt de la cause et donc du patient » comme le soulignent les responsables du ministère.
Complétant la loi du 28 août 1998 sur les établissements hospitaliers, le présent projet règlement grand-ducal établissant le plan hospitalier doit aussi donner une certaine légitimité au projet de loi autorisant l'État à participer au financement de la modernisation, de l'aménagement ou de la construction de certains établissements hospitaliers. Malgré les sévères critiques du Conseil d'État (qui n'a pas émis d'opposition formelle si ce n'est, pour la forme, dans un avis séparé) concernant la loi spéciale de financement, le gouvernement a la ferme intention de procéder par une politique des faits accomplis pour garantir ses intérêts par le partage effectué.
Pour les chrétiens-sociaux et les socialistes, la publication des textes législatifs au Mémorial revient effectivement à une assurance si jamais la majorité gouvernementale changeait après le 13 juin prochain.