On appelle cela une fenêtre de tir ou de lancement… en l’occurrence l’intervalle de temps où les conditions sont optimales pour faire partir une fusée. Et quand la distance est de quelque cinquante millions de kilomètres, c’est le cas de la Terre à Mars, il n’est pas de petit gain. Tous d’en profiter, les Américains qui ont pris de l’avance, avec des robots qui s’y sont déjà posés, et qui semblent bien décidés à être les premiers également à y marcher ; les autres qui veulent à tout prix rattraper le retard, la Chine vient de lancer une sonde, les Émirats arabes unis de même ; seuls les Russes ne sont pas (encore) partie prenante, faute de moyens financiers, malgré un projet de mission habitée vers Mars qui existe depuis le début des années 60.
Et l’Europe, demanderez-vous ? Des échecs ont là encore fait renvoyer les ambitions. Dira-t-on aussi que l’un de facteurs qui jouent dans l’entreprise s’avère moins opérant. Les nations en attendent bien sûr un gain de prestige, la fierté nationale aura de quoi s’émoustiller. Tant mieux si cela aide les scientifiques, et fait amonceler des connaissances. Hélas, il n’y a pas que cela : l’espace est aussi objet d’autre convoitise, comme l’étaient jadis les régions, les continents inconnus de la terre. Osons les mots, c’est d’appropriation, de colonisation qu’il s’agit.
En juillet 2017, le Luxembourg a voté une loi sur l’exploitation minière des astéroïdes. C’est plus modeste, il est vrai ; quand même, on a été le deuxième pays au monde après les États-Unis. A l’origine de l’initiative, un ministre qui voulait s’arroger le portefeuille des affaires spatiales, ça a coûté assez cher. Il est revenu entretemps sur le plancher des vaches, on peut y faire son lait aussi, en accumulant les postes dans les conseils d’administration.
La chose peut surprendre, quelqu’un qui s’affirme socialiste du côté de l’exploitation et de l’utilisation des ressources par des intérêts privés. Bien sûr, on ne forcera pas un militant de gauche à lire Bakounine et Fourier, Proudhon et Marx ; la lecture de Jean-Jacques Rousseau fera déjà du bien à tout le monde, quant à l’origine et aux fondements de l’inégalité (non pas celle naturelle, ou physique), de l’inégalité morale, établie par une convention humaine, parmi les hommes :
Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : « Ceci est à moi », et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : « Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne. »
Vous direz que voilà une belle fable, un mythe, et on répliquera qu’il est question en effet d’une expérience de pensée. Et que les choses ne se sont pas passées comme ça. Toutefois, la réalité, la vérité historique, nous sommes en train de la vivre, et toute proche, oh la même que la scène originelle telle que la relate le philosophe. Et, une fois de plus, l’imposteur risque de trouver des gens assez simples pour le croire. Il est vrai que les temps compliqués que nous vivons depuis des mois, nous ont mis la tête ailleurs, jusque dans les hautes sphères. Ce n’est pas une raison de fermer les yeux à tout nouvel usurpateur, d’autant plus (ou moins) que les injustices du passé (sur notre bonne vieille terre) ne passent plus pour acceptables, enfin.
Un décret présidentiel américain, en date du 6 avril dernier, après moult observations plus générales, en vient à l’essentiel : « L’espace extra-atmosphérique est un domaine de l’activité humaine unique sur le plan juridique et physique, et les États-Unis ne le considèrent pas comme un bien commun mondial. »
Voilà qui est bien et définitivement dit, qu’on se le dise. Cela balaie tel texte de 1967, tel autre signé à l’Onu en 1979, sur les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes, « patrimoine commun de l’humanité ». Course dans l’espace, et plus près de nous, de façon plus urgente, course au vaccin contre le Covid-19. Quels pays seront les gagnants, à côté bien sûr des intérêts privés ?