La refonte du paquet législatif ferroviaire s’annonce difficile. Et le Luxem[-]bourg s’oppose à l’orientation prise par le Conseil des ministres de l’UE et l’a réaffirmé le 12 décembre, lors de la réunion des ministres européens des Transports. Cette révision porte sur le « premier paquet ferroviaire » de 2001 composé de trois directives relatives au développement des chemins de fer européens, aux licences des entreprises ferroviaires et à la gestion de l’infrastructure ferroviaire. Mais l’équilibre est difficile à trouver entre obligation de service public et mise en concurrence des entreprises ferroviaires et, sous des abords très techniques, ce dossier soulève d’épineuses questions politiques.
La Commission a publié le 17 septembre 2010 une communication définissant les grands axes de cette réforme en vue d’entamer une nouvelle étape dans la libéralisation complète du rail et de renforcer l’indépendance des gestionnaires d’infrastructures et des organismes de contrôle devant veiller à un accès non discriminatoire aux réseaux ferroviaires nationaux. Elle établit clairement la distinction entre la gestion des rails et les activités commerciales (services aux voyageurs par exemple) et a pour objectif de garantir un accès aux services dits annexes – gares de triage, stations de ravitaillement, installations d’entretien, billetterie, etc – dont l’organisation actuelle peut encore être un obstacle à l’arrivée de concurrents sur les marchés. Elle prévoit par exemple, que les demandes d’accès à ces installations ne pourront être refusées aux entreprises ferroviaires que s’il existe des alternatives viables, qui leur permettent d’assurer leurs services. Et elle introduit aussi des dispositions obligeant les propriétaires de ces installations à les rendre disponibles à la location et au leasing si elles ne sont pas utilisées pendant trois années consécutives (la Commission proposait deux ans, le Parlement demande un an). Une situation d’autant plus délicate que les puissantes sociétés historiques de chemin de fer détiennent ou exploitent encore souvent ces services ou ont des liens directs avec les sociétés qui les opèrent, ce qui peut mener à des conflits d’intérêt quand un concurrent cherche à y accéder.
Lors d’un premier examen, en juin dernier, le Conseil avait dégagé un compromis pour une modification législative des trois directives à fusionner en une seule, compromis rejeté par le Luxembourg et l’Autriche et sur lequel l’Estonie s’était abstenue. Contrairement à ce que proposait la Commission, les ministres européens ont choisi de ne pas obliger à une séparation juridique entre les opérateurs de services et de transport, même si ces derniers détiennent une position dominante dans leur pays. Seule une indépendance en termes d’organisation et de prise de décision sera requise, ce qui signifie qu’une société holding pourra chapeauter à la fois un opérateur de service et un opérateur de transport (comme c’est le cas en Allemagne). La position du Conseil à l’issue de la réunion du 12 décembre reste la même. Claude Wiseler, ministre du Développement durable et des Infrastructures, a réaffirmé l’opposition du Luxembourg à cette orientation trop interventionniste. Il a en effet déploré une approche « trop rigide », qui ne « tient pas compte des différentes situations dans les États membres, notamment au Luxembourg ». « Une solution unique pour tous est inadéquate et contraire au principe de proportionnalité. Il faut autoriser une certaine souplesse dans les moyens, » a-t-il dit.
Le Parlement a demandé le 16 novembre, lors du vote d’une résolution sur ce sujet à la Commission européenne, de présenter une proposition sur la séparation complète entre la gestion de l’infrastructure et l’exploitation des services de transport, ainsi que sur l’ouverture des marchés nationaux de transport ferroviaire de voyageurs à la concurrence. Sur ce dernier point, l’Italie s’est montrée insistante. La veille avait eu lieu le premier voyage entre Paris et Venise d’un nouvel opérateur sur les réseaux français et italien, Thello filiale de l’opérateur historique italien Trenitalia et de l’entreprise française privée Veolia-Transdev. Outre Rhin, le nouvel opérateur privé autrichien Westbahn (la SNCF en détient 26 pour cent) a lancé ses trains sur le trajet Vienne-Salzbourg.
Sur la question du financement du secteur ferroviaire, les ambitions de la Commission ont aussi été douchées. Son souhait d’obliger les États à conclure des contrats de financement pluriannuels avec les gestionnaires d’infrastructures n’a pas été suivi, car les États n’ont pas voulu s’engager financièrement sur le long terme. S’il y aura bien des contrats pluriannuels, ils seront limités à trois ans et non, comme elle le proposait, cinq ans. Le Parlement quant à lui défendait dans son rapport l’idée de vrais contrats de financement sur une période de sept ans. On peut s’attendre à de belles passes d’armes entre les négociateurs de Conseil et du Parlement lors de la seconde lecture de cette réforme.
La Communauté européenne du rail (CER) a regretté l’attitude frileuse du Conseil qu’elle qualifie d’approche à court terme. « La crise économique ne doit pas être une excuse pour le Conseil pour dégrader les conditions financières du secteur ferroviaire », a réagi le directeur exécutif de la CER, Johannes Ludewig, qui compte sur le Parlement européen pour rétablir la situation. Les syndicats aussi sont résolument opposés à cette réforme comme en a témoigné leur journée de mobilisation européenne du 8 novembre dernier.