Présentée comme « ambitieuse », la réforme du marché de l’audit que souhaite mettre en place la Commission a perdu de sa substance. L’audit conjoint obligatoire, qui en constituait une disposition phare, a été sacrifié. Pour rendre le marché de l’audit plus concurrentiel et qu’il retrouve une crédibilité écornée par certaines défaillances révélées par la crise financière, Bruxelles a proposé, le 29 novembre, une rotation obligatoire des cabinets de réviseurs, l’interdiction de clauses d’exclusivité et tout un arsenal de dispositions qui portent un coup sérieux au modèle économique des grands acteurs de ce marché, dominé à 85 pour cent par les big four (Deloitte, Ernst [&] Young, KPMG et PWC).
Cette réforme, constituée d’une proposition de modification de la directive de 2006 sur les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés (2006/43/CE) et d’un règlement sur le contrôle des comptes des entités d’intérêt public (EIP : ces grandes entreprises cotées en bourse), vise à mettre fin à la concentration trop marquée du marché de l’audit, à réduire le risque de conflit d’intérêts et à améliorer la crédibilité du secteur ébranlé par des dysfonctionnements. MIchel Barnier, le commissaire au Marché intérieur, entend « éliminer les conflits d’intérêts, en assurer une supervision indépendante et fiable et en favoriser la diversité dans un secteur très concentré, en particulier au sommet ».
La mesure principale du règlement est la mise en place de l’obligation de rotation des cabinets d’audit au bout de six ans (avec quelques exceptions) pour éviter la familiarité qui peut s’installer quand la même firme contrôle une même EIP. Suivra une période de carence de quatre ans. Cette période peut aller jusqu’à à neuf ans si un audit conjoint est mis en place, c’est-à-dire si plusieurs auditeurs sont nommés. Une telle vérification conjointe est simplement encouragée, alors que le commissaire la voulait obligatoire. Ces EIP devront aussi procéder à des appels d’offres ouverts et transparents pour sélectionner un auditeur et y associer le comité d’audit. La majorité des membres de ce dernier ne devront pas faire partie de l’équipe dirigeante exécutive de l’entreprise et au moins un aura une connaissance poussée de l’audit et un autre devra avoir une formation en audit et/ou en comptabilité.
De plus, le règlement proscrit la fourniture de services autres que ceux relevant de l’audit pour les cabinets de vérification, afin d’éviter les conflits d’intérêt et des tarifs artificiellement bas sur la partie audit, qui seraient compensés par la fourniture de services mieux rémunérés, tels que la préparation des états comptables et financiers, les conseils juridiques, la gestion des risques. Ces activités de conseil pourront toujours être proposées à d’autres clients, sauf pour les gros cabinets qui devront s’en séparer. Est aussi stipulée l’interdiction de clauses d’exclusivité en faveur des big four et la suppression des exigences minimales des droits de vote détenus par des auditeurs légaux.
Le secteur, estime la Commission, a besoin d’une coopération et d’une coordination au niveau européen : elle sera assuré par l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), qui sera chargée d’élaborer les normes valables dans toute l’UE, de travailler à l’adoption de Standards internationaux d’audit (SIA), en cours de négociation, et de produire des certificats européens de qualité. La supervision reste du ressort des autorités de régulation nationale.
Le texte impose aussi des contraintes en termes de présentation et de contenu plus détaillé du rapport d’audit, qui devra porter sur 23 points minimum et du rapport interne adressé au comité d’audit, qui en comportera quatorze. Il rend accessible un rapport annuel dit « de transparence » sur le site de l’auditeur légal pour au moins cinq ans. Celui-ci doit être associé à un rapport sur la gouvernance des EIP. Selon ce même principe de transparence, le règlement instaure la divulgation des honoraires d’audit et des limites quant au niveau de recettes générées par un même client.
Le second volet des propositions, qui modifie la directive de 2006, instaure des règles pour tous les autres audits. Celles-ci sont plus consensuelles, comme la mise en place d’un passeport européen pour les auditeurs afin d’améliorer leur mobilité au sein de l’UE ou des exigences simplifiées pour les audits des PME.
Évidemment, ce paquet législatif sur l’audit ne fait pas l’unanimité, et la contre-offensive s’organise pour le faire amender via son examen par les États membres et les députés. Si le Groupe européen de réseaux et associations comptables a « salué ces propositions qui visent à créer la confiance en l’indépendance de l’audit », pour Ian Powell, président de PwC Europe, « des propositions vont générer des coûts élevés et menacer la qualité de l’audit ». « Elles auront des conséquences négatives sur tous les secteurs et surtout pour le secteur financier, ce qui serait contreproductif par rapport aux objectifs de la réforme », précise David Sproul du cabinet Deloitte. Pour Sue Almond de l’ACCA, qui se félicite de l’abandon de l’obligation d’audit conjoint, la rotation n’est pas la panacée : « C’est trop simpliste d’affirmer que la qualité du travail de l’auditeur peut être améliorée par la mise en place de limites arbitraires à la durée de la relation professionnelle ».