Le projet de réglementation visant à brider le pouvoir des agences de notation chargées d’évaluer la solidité d’un emprunteur sur les marchés, présenté par la Commission le 15 novembre, a déçu les tenants d’une réforme en profondeur. Michel Barnier, le commissaire aux services financiers a en effet annoncé qu’il n’avait pas obtenu l’accord de ses collègues sur la mesure phare de son initiative : la suspension prévue initialement de la notation souveraine d’un État membre de l’UE en difficulté ou dont la notation accentuerait l’instabilité des marchés. L’objectif était d’éviter la répétition du cas de la Grèce, dont la note avait été dégradée par une agence de notation au moment même où ses partenaires européens étaient mettaient au point un plan de sauvetage ou encore celui le Portugal dégradé aussi alors qu’il annonçait des [-]mesures drastiques de réduction budgétaire.
« J’ai proposé de différer la suspension de la notation souveraine. J’ai considéré qu’il fallait plus de temps pour convaincre et détailler les mesures techniques de cette suspension », a reconnu le commissaire. Une manière de dire qu’il reviendra à la charge dès que possible. Mais pour bon nombre d’opérateurs de marché cette mesure n’était pas pertinente, car, de fait, un pays sous aide du FMI ou de la BCE est déjà placé en catégorie spéculative ou en défaut.
Ces agences de notation sont pointées du doigt depuis le début de la crise de 2008 et celle de la zone euro. Bien que 23 agences de notation soient enregistrées auprès de l’ESMA, l’autorité européenne des marchés financiers, trois agences mondiales les big three se partagent 90 pour cent du marché : Moody’s, Fitch et Standard [&] Poor’s. L’UE avait annoncé un ambitieux programme de réglementation visant à mettre fin à leur position d’oligopole et à leur pouvoir excessif, pour reprendre les termes du Président de la commission José Manuel Barroso. Pour les concurrencer, il faut favoriser l’émergence d’agences européennes qui fassent un contrepoids à ce pouvoir exorbitant.
L’idée d’une agence publique européenne indépendante défendue par les socialistes européens et certains libéraux allemands a fait long feu : « Ce n’est pas à la Commission de créer des agences de notation. Nous pourrions avoir des conflits d’intérêts », a affirmé son président lundi soir, sur la chaine LCI.
Autre mesure clé initialement prévue pour briser cet oligopole, elle aussi abandonnée : l’interdiction faite à ces big three de procéder à des acquisitions, jugées par certains peu crédibles sur le plan juridique.
Pour Michel Barnier, ce ne sont pas des dispositions phares du paquet qui vise avant tout à réduire la dépendance des emprunteurs vis-à-vis des grosses agences et à « reconstruire une souveraineté politique pour ne pas subir la souveraineté des marchés ». « Nous avons, a-t-il dit, tout de même adopté l’essentiel de ma proposition. Elle sera soumise au Conseil des ministres et au Parlement européen. »
Que reste-t-il alors de ses propositions initiales ? Le principe de « rotation obligatoire » qui, à l’instar de ce qu’il veut imposer dans le secteur de l’audit prochainement, consiste à imposer aux emprunteurs de changer tous les trois ans d’établissement pour leur évaluation. Un fichier européen recensant l’ensemble des agences existantes, avec leurs tarifs et les notes qu’elles attribuent, les y aidera. Rescapée aussi l’obligation faite aux banques de disposer de leur propre évaluation, déjà très largement en vigueur, ou encore la possibilité pour les douze membres de l’autorité européenne des marchés (Esma) de donner un avis sur les méthodologies utilisées pour les notations afin de les contraindre les agences à plus de transparence sur les données qui sous-tendent leurs notations. Elles devront aussi prévenir les émetteurs d’obligations et investisseurs de toute modification de leur méthode de notation, un jour avant publication.
Autre principe acquis, celui permettant aux investisseurs de poursuivre en justice les agences de notation qui enfreindraient « intentionnellement ou par négligence » la réglementation de l’UE les concernant, charge à elles de prouver l’infraction. Une mesure qui arrive quelques jours après la « bourde » de Standard [&] Poor’s annonçant à des abonnés privilégiés une dégradation du AAA français.
Leonardo Domenici, député socialiste italien chargé de préparer la position du Parlement sur ce nouveau texte, juge qu’il y manque « certains éléments importants » et se révèle moins ambitieux que prévu, « ce qui est inquiétant d’un point de vue institutionnel et politique ».Du coté des agences, le patron de Moody’s, Michel Madelain estime que ce texte « contredit » l’objectif affiché de « stabiliser les marchés », car il craint « que ces mesures ne portent atteinte à la qualité et l’indépendance des notations et renforcent encore la volatilité des marchés ».
La difficulté de l’option retenue par les Européens, qui veulent maintenir les agences de notation tout en les contrôlant, réside dans le niveau adéquat de la force de frappe, qui se détermine en fonction de compromis politiques entre institutions communautaires. La solution américaine est, elle, plus radicale : elle prohibe toute référence à la notation dans la réglementation bancaire et financière.