À peine un foyer maîtrisé à Athènes, un autre prend de la vigueur à Rome. Le feu gagne dans la zone euro et les moyens de juguler sa progression ne semblent pas suffisants. Les dirigeants imposent des coupes- feu pour éviter la propagation, mais les moyens à leur disposition restent limités.
L’accalmie des marchés financiers à la suite du sommet européen du 26 et 27 octobre, qui avait abouti à un scénario plausible de sortie de la crise de la dette grecque, n’a pas duré longtemps. Le coup de poker de l’annonce, deux jours après le sommet, par le Premier ministre grec George Papandréou d’un référendum sur le deuxième plan de sauvetage a fortement bousculé et les marchés et l’agenda du G20 qui n’avait pas prévu ce sujet de débat.
Les dirigeants européens ont calmé, en partie, la nervosité des bourses en conditionnant le déblocage de la nouvelle tranche de huit milliards d’euros d’aide relevant du premier plan (de 100 milliards) à l’engagement par écrit du nouveau gouvernement grec d’unité nationale au respect des mesures d’économies et des réformes négociées avec les détenteurs de dette nationale. Ce message, d’abord délivré par l’Allemagne et la France lors du G20, a été réaffirmé avec vigueur par les ministres des Finances de la zone euro (eurogroupe), lundi 7 novembre. Ils ont en effet imposé aux socialistes et conservateurs grecs un engagement écrit « clair et sans équivoque », comme condition du décaissement de la sixième tranche d’aide nécessaire à la Grèce d’ici la mi-décembre pour honorer ses échéances, a déclaré le commissaire européen aux affaires économiques, Olli Rehn. « Il est essentiel que toute la classe politique restaure la confiance qui s’est perdue dans l’engagement grec envers le programme conjoint de l’Union européenne et du Fonds monétaire international », a-t-il souligné.
Parallèlement à ces mesures de sauvetage, d’autres initiatives à titre préventif, doivent être mises en place rapidement pour éviter la contagion à l’Italie en pleine crise politique. Le Président du Conseil, Silvio Berlusconi, n’a pas vraiment convaincu ses alliés de sa capacité à redresser la situation économique du pays, qui impose un strict programme de restriction budgétaire et de réformes conséquentes. Ce dernier comprend des coupes de 59 milliards d’euros dans le budget pour l’équilibrer d’ici 2013, un relèvement de l’âge de la retraite à 67 ans et une dérégulation des marchés des investissements privés et du travail.
Lors du G20, le Président du Conseil italien a refusé la proposition de la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, consistant en la mise en place une ligne de crédit « de précaution » d’une cinquantaine de milliards d’euros. Le pays a néanmoins été mis sous surveillance de cette institution, de la Banque centrale européenne et de l’Union européenne, le 4 novembre, pour veiller à ce que le plan de réformes proposé soit rigoureusement mis en application. À l’issue de la réunion de l’eurogroupe, son président Jean-Claude Juncker a « salué la décision de la Commission européenne d’intensifier sa surveillance de l’économie italienne (...) en coopération avec la Banque centrale européenne ».
Les marchés très peu confiants ont réagi par la fixation de niveaux record de taux d’emprunts italiens (6,76 pour cent le 8 novembre), un niveau insoutenable sur la durée au regard de la dette colossale du pays (environ 120 pour cent du PIB). Autre signal – si besoin en était – de l’extrême nervosité des marchés : même, le Fonds de secours de la zone euro, qui dispose de la garantie des États membres, a dû emprunter à des taux plus élevés ces derniers jours pour pouvoir aider l’Irlande.
Mario Draghi, le nouveau président de la BCE, a annoncé, lundi soir, une mission d’experts à Rome pour évaluer la situation du pays. La Commission jugeant situation économique « très inquiétante », a fait de même le lendemain, alors que Silvio Berlusconi venait d’essuyer un vote parlementaire témoignant de la perte de sa majorité absolue à la Chambre des députés. Le pire a pu être évité grâce à l’abstention des députés de centre-gauche sur ce vote du bilan 2010 de l’État italien. La présidence italienne a pris acte de cette défiance en annonçant dans la soirée du 8 novembre la démission de Berlusconi après l’adoption des mesures promises à l’UE pour endiguer la crise, d’abord au Sénat d’ici le 18 novembre et ensuite à la Chambre des députés d’ici à la fin du mois. Les bourses américaines asiatiques et européennes se sont un peu reprises dans la foulée de cette annonce, pour très vite retomber dans le rouge.
Les responsables européens n’imposent pas à l’Italie d’afficher une unité nationale qu’ils demandent à la Grèce car comme l’a souligné Jean-Claude Junker :« l’Italie n’est pas sous plan de sauvetage », a-t-il dit.
Mais pour pouvoir riposter de manière décisive, il leur faudrait disposer d’une force de frappe plus puissante du Fonds européens de stabilité financière (FESF), qui doit passer de 440 milliards d’euros à 1 000 milliards d’euros sans recourir pour autant à un recours supplémentaire des États membres, sur la base du compromis conclu, au forceps, le 27 octobre par les chefs d’État et de gouvernement. Or, ce renforcement fait l’objet de discussions qui risquent de se prolonger, car les États européens n’arrivent pas à un consensus sur les deux options possibles pour le mettre en œuvre. La première consisterait à transformer le Fonds en un mécanisme d’assurance, en vue d’inciter les investisseurs à acheter des titres de dette de pays fragilisés tout en garantissant une partie de leurs pertes éventuelles. La seconde, éventuellement combinée à la première, viserait à créer des fonds spéciaux liés au FESF, potentiellement adossés au FMI, pour accueillir les financements d’investisseurs européens ou des fonds souverains des pays émergents. Cette solution n’a pas, lors du G20, été accueillie avec enthousiasme par ces derniers, notamment en provenance d’Asie. Un accord partiel n’est pas attendu avant décembre, et le nouveau dispositif de sauvetage « ne sera pas opérationnel avant février », a prévenu Jean-Claude Juncker à l’issue de la réunion de lundi.
Ces longues discussions et l’urgence de la situation pourrait relancer les débats sur une troisième possibilité impliquant davantage la BCE à laquelle serait adossé le FESF pour en faire une banque. Cette thèse, soutenue par la France, les pays latins, le Royaume-Uni, les États-Unis et les pays émergents, est pour l’heure rejetée par l’Allemagne et la BCE.