On se rappelle la boutade d’Alphonse Allais, qu’il faudrait construire les villes à la campagne, l’air y serait plus pur. La mairie de Paris en a pris le contrepied, un peu comme si elle voulait remettre la campagne dans la capitale, avec ce qui s’appelle alors agriculture urbaine. Sans vouloir être méchant, c’est un peu jouer à Marie-Antoinette, et ce n’est pas sûr que tout cela compense la désertification des campagnes ou fasse oublier la misère des agriculteurs. En tout cas, on veut donner un nouvel air (dans tous les sens du terme) à Paris.
Pour cela, les services de la mairie ont recensé 23 sites, propriétés municipales, proposés à la consultation. Originalité de l’opération : les sites étaient mis en vente, et les projets devaient être conjointement portés par des investisseurs et des architectes (quitte à s’adjoindre toutes sortes de gens, agronomes bien sûr, artistes, associatifs, jusqu’à des cuisiniers…). Le résultat pour la mairie s’avère satisfaisant : au départ, 372 offrent furent remises, il y avait eu même 815 manifestations d’intérêt. Après écrémage, 75 équipes furent retenues, et 22 sites trouvèrent leur lauréat (un seul, un hôtel particulier du XVIIe, fut recalé, faute d’innovation suffisante). Mais c’est du côté des finances que l’affaire s’annonce juteuse : 1,3 milliard d’euros d’investissements privés et 565 millions de recettes pour la ville. Ce qui a fait naître les premières critiques, de brader l’espace public, un pas de plus dans la privatisation. Et puis le travail des architectes, des perdants, resté sans rémunération.
Les 22 sites retenus sont de taille et de configuration bien différentes, voire opposées. L’exposition au pavillon de l’Arsenal en rend compte et permet de se faire une idée, une image de l’ensemble. Et en premier des conditions mêmes (de succès) à ce concours à tant de points de vue pas comme les autres. Pas de verdure, pas de chance ; il y a peu de projets dérogeant à la règle, qui se vérifie jusque dans les dénominations. Ainsi, dans le XIIIe, au cœur de la Zac Paris Rive Gauche, on a primé des bâtiments-laboratoires, à biofaçade active, et ils se nomment à tour de rôle « Algo House », « Plant House » et Tree House ». Je ne sais si Paris manque de parcs, de squares, de bois, des arbres, il y en aura, pas moins de mille par exemple, « une nouvelle skyline pour Paris », avec un immeuble-pont entre la porte Maillot et la porte des Ternes.
C’est l’un des projets les plus spectaculaires, de l’architecte japonais Sou Fujimoto associé à Manal Rachdi, l’un des plus volumineux aussi, plus de 11 000 mètres carrés dont 50 pour cent de logements sociaux et intermédiaires. En concurrence dans ces catégories avec l’ancienne préfecture, boulevard Morland, dans le IVe, qui est revenue au Britannique David Chipperfield, ensemble avec l’artiste Olafur Eliasson. Là, on passe carrément dans les 40 000 mètres carrés, place d’Italie, dans le XIIIe, on revient à 7 000 seulement, avec toiture végétalisée bien entendu.
Il est des projets plus modestes, plus inattendus. Si ce n’est pas tout à fait la cas pour « La Fabrique de la danse », conçue par les architectes de l’Atelier Secousses avenue Gambetta, ça l’est sûrement pour le funérarium des architectes Vincent Parreira et Antonio Virga, à la Poterne des peupliers, dans le XIIIe, entre le boulevard périphérique et le cimetière de Gentilly ; et pour une fois, même si une large place est faite encore à la végétalisation, les arbres se trouvent remplacés par une belle résille métallique vaporeuse.
D’aucuns ont reproché à la ville de jouer au Monopoly, eh bien, on va étendre le jeu, hors des limites de la capitale. Ce sera « Réinventer la Seine », de Paris au Havre, et pour conclure avec Alphonse Allais, ça reviendra dès lors à apporter la ville à la campagne.