L’Espagne, qui assume depuis vendredi dernier la présidence tournante du Conseil européen, va « essuyer les plâtres » d’un fonctionnement inédit selon les nouvelles règles du Traité de Lisbonne qui lui laisse un rôle mineur comparé à celui joué par les présidences précédentes. Madrid va devoir apprendre à travailler avec un binôme qui a la prééminence de droit : le nouveau président stable du Conseil, Herman Van Rompuy et la Haute représentante pour les affaires étrangères, Catherine Ashton, qui entendent tous deux user de toutes leurs prérogatives.
Tablant sur la phase de transition, l’Espagne n’a pas renoncé à ses propres ambitions politiques affichant des objectifs pour le semestre calqués sur ceux défendus au niveau national par le gouvernement en place.
José Luis Zapatero doit inscrire son action dans un contexte institutionnel nouveau imposé par Lisbonne et est contraint de composer avec Herman Van Rompuy et Catherine Ashton pour déterminer les contours de la coopération entre les États membres et la nouvelle troïka des institutions communautaires. Désormais Herman Van Rompuy en charge de la coordination des travaux du Conseil, présidera les sommets des chefs d’État et de gouvernement qui ont été organisés, avant sa nomination, par l’Espagne sur son territoire. Il s’est empressé de préciser qu’ensuite ils se tiendraient à Bruxelles. Le Premier ministre espagnol y participera en tant qu’hôte, mais il ne sera pas convié pour les sommets dans les pays tiers (Japon, Canada, Russie). Le Conseil relations extérieures sera quant à lui présidé par la Haute représentante et il reviendra à la présidence tournante de gérer des autres formations du Conseil dans des domaines plus spécialisés : finance, justice, énergies, affaires générales, environnement, etc. Ce qui lui offrira la possibilité de tout de même mettre l’accent sur son propre agenda politique.
La relance économique constitue la toute première priorité de la présidence espagnole. Pour défendre son projet de « gouvernement économique européen », José Luis Zapatero a appelé à la rescousse un comité des « sages » composé de l’ex-président de la Commission Jacques Delors, l’ex-chef du gouvernement espagnol Felipe González et l’ancien ministre de l’Économie et commissaire européen Pedro Solbes. Il souhaite durant sa présidence développer l’innovation et la compétitivité européenne, renforcer la coordination des politiques économiques européennes dans le cadre de la stratégie de croissance à l’horizon 2020 et achever la refon-te de la supervision financière européenne. Comme pour lui rappeler ses prérogatives, Herman Van Rompuy a convoqué de sa propre initiative, un sommet informel sur l’économie le 11 février à Bruxelles.
Dans une vidéo diffusée dès samedi sur le site Internet de la présidence, le Premier ministre espagnol a aussi insisté sur l’objectif de coordination de la lutte contre le terrorisme, un problème préoccupant pour les Espagnols, d’autant plus que plane la menace d’une tentative « d’attentat spectaculaire » de l’ETA durant cette présidence. La coopération antiterroriste européenne serait renforcée par la création d’un comité des centres de coordination antiterroriste destiné à faciliter l’échange des informations des agences de sécurité européennes. Plus largement, l’approbation du Programme de Stockholm relatif à l’Espace européen de liberté, de sécurité et de justice est une priorité qui permettra, entre autres, d’organiser une gestion commune des problèmes d’immigration, une question préoccupante stratégique pour l’Espagne.
La lutte contre la violence faite aux femmes constitue un autre cheval de bataille de José Luis Zapatero qui a porté ses fruits au niveau national. Il entend « améliorer la capacité de l’Union à éradiquer la violence domestique » en mettant en place d’une part un Observatoire européen, chargé du diagnostic, et d’autre part un Ordre européen de protection des victimes, destiné à améliorer la sécurité des femmes menacées.
Dans le domaine des relations internationales de l’UE, Madrid focalise son intervention sur l’Amérique latine, le bassin méditerranéen et plus particulièrement le Maroc. L’Espagne accueillera le sixième sommet des chefs d’État entre l’UE et l’Amérique latine, le premier sommet de l’Union des pays de la méditerranée et le premier sommet UE-Maroc de l’histoire.
Le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Ángel Moratinos, fort de son expérience, souhaite en outre favoriser l’ouverture des négociations d’adhésion de la Serbie et parvenir à la création d’un État palestinien dans les prochains mois. Sa marge de manœuvre dépendra néanmoins de l’implication de la nouvelle chef de la diplomatie de l’UE. Celle-ci sera certes centrée en priorité sur la définition de la structure et l’organisation du futur service pour l’action extérieure chargé de l’assister, mais il n’est pas dit qu’elle lui cédera autant de terrain qu’il l’escompte. Le point d’orgue de ces relations sera le sommet bilatéral avec les États-Unis qui se tiendra à Madrid en mai auquel assistera en personne Barack Obama.
L’Espagne souhaite de plus lancer l’« initiative citoyenne européenne », instaurée par le Traité de Lisbonne, qui permettra à un million de citoyens de participer au processus législatif de l’Union par l’intermédiaire de la Commission ». Cette dernière doit faire une proposition de règlement en vue d’une adoption au premier semestre 2010.
La présidence enfin a affiché son intention de s’atteler à l’application de la « clause de solidarité », qui assigne à l’Union et à chaque État membre un « devoir de porter assistance à un État membre touché par une catastrophe naturelle ou par une attaque terroriste », et de défendre l’adhésion de l’UE en tant que personnalité juridique à la Convention européenne des droits de l’Homme.
Malgré l’image de consensus offerte ces derniers jours, notamment lors d’une conférence commune de presse par les deux présidents, beaucoup d’observateurs soulignent les tensions entre les deux hommes et prédisent d’inévitables difficultés compte tenu de leurs ambitions respectives.