Cela commence comme une série télé médicale de bas étage – l’infirmière : « tu m’aimes ? », le médecin : « tu sais bien que je suis marié ! » – et cela se termine en bain de sang. Un garçon impossible de l’auteur norvégien Petter S. Rosenlund, mis en scène par Myriam Muller et Jules Werner pour le Théâtre des Capucins, est une pièce déroutante qui navigue sans vergogne entre les styles, du drame à la farce, de la comédie à la tragédie – et retour. Un théâtre féroce de la cruauté humaine.
Cela se passe dans la salle de consultation d’un hôpital, déjà un peu défraîchi (décor très réussi : Jeanny Kratochwil). Alors que Henrik, le médecin aussi lâche que suffisant (Jules Werner), et Cecilie (excellente Naïma Ostrowski), l’infirmière avec laquelle il a une affaire non-assumée depuis un an, ont une de leurs scènes de ménage sur leur relation, Sylvia (Caty Baccega) débarque avec son fils Jim, huit ans (superbe Sébastien Schmit) pour ce qu’elle appelle un problème d’audition. Il n’entend pas son grand-père, affirme-t-elle, avant d’ajouter que ce dernier serait mort depuis longtemps. Ce n’est pas le garçon qui est malade, jugent très vites les médicaux, c’est la mère qui est folle à lier... Mais voilà que le grand-père, présumé mort, débarque lui aussi (Guy Vouillot). S’ensuit un huis clos complètement délirant, mêlant vaudeville et surréalisme, dans lequel les personnages s’affrontent avec tant de cruauté qu’on ne peut qu’en rire jaune. « Je ne suis ici que l’ombre de l’enfant que j’aurais dû être, dit Jim à la fin. Mais l’enfant n’existe plus. Seule l’ombre continue de grandir. » Ou, un peu plus loin, « Nous sommes faits de la même étoffe que le pire de nos cauchemars ».
Jim est un enfant naturel, un enfant dont la mère dit devant lui qu’elle aurait mieux fait de l’avorter, comme l’avait voulu son père à elle. Mais son père est tout le contraire, excessivement possessif avec sa fille, n’ayant que mépris pour son petit-fils. Durant cette consultation qui dérape, Jim au regard vide, apeuré, devient la surface de projection de toutes les peurs, les frustrations et les désirs, y compris sexuels, des autres. Tout recroquevillé avec ses deux mètres sur une petite chaise d’enfant, il observe les adultes, ne peut qu’entendre leurs insultes et leurs perversions, et va forcément y répondre à sa manière, voire les reproduire en les amplifiant. On apprendra que son grand-père qui se dit bigot n’hésite pas à abuser de et à frapper aussi bien sa fille que son petit-fils. Ou que la jolie infirmière, si seule et triste, est désespérée de ne pas pouvoir vivre son rêve de fonder une famille avec son grand amour, « avec trois enfants et peut-être un chien » et que le médecin passe ses journées à mentir à tout le monde et à refouler ses fautes. Leurs trahisons et leurs violences verbales tuent le petit Jim et son innocence.
Après Angels in America, Myriam Muller et Jules Werner avaient envie de faire une comédie. Heureusement qu’ils n’ont pas choisi un de ces horribles classiques à costumes, mais une pièce contem-poraine (de 1997) : on rit aux larmes de ces personnages white trash hors normes, excroissances d’une société individu-aliste, égomane et mythomane – pour, au final, s’interroger sur ce que cette société inflige aux enfants, et sur les conséquences que cela peut avoir. C’est déjà beaucoup pour un divertissement.