En l’occurrence, il ne peut être question d’une histoire belge. Histoire française plutôt, et c’est bien en Belgique justement que l’Arc majeur de Bernar Venet a été inauguré la semaine passée, projet né dans les années 80 en France. Le soutien de Jack Lang n’avait servi à rien, passé de Bourgogne en Lorraine, se rapprochant donc déjà d’une autoroute voisine du Grand-duché, l’Arc majeur se heurtait à des résistances locales, ne put être réalisé. Jusqu’au jour où le président Bernard Serin, il l’est aussi du FC Metz et l’aurait volontiers voulu dans les parages, avec son autre casquette, de président de la société John Cockerill, emporta le projet en Wallonie. Une trentaine d’années sans résultat en France, il se fit en moins de deux ans à mi-chemin entre Luxembourg et Bruxelles, à la frontière de deux provinces belges, sur l’autoroute E411.
Deux arcs sont fichés de chaque côté, l’un mon tant à soixante mètres de hauteur, d’un poids total de 200 tonnes d’acier Corten, sans oublier les mille mètres cube de béton mis en œuvre. Au bout, un arc de 205,5° qui donne l’impression de passer sous l’autoroute. La prouesse, après l’invention, au sens d’idée, d’imagination, de Bernar Venet, est bien sûr d’ordre technique, travail d’ingénieurs, d’ouvriers spécialisés. Et il a fallu commencer par trouver la bonne portion d’autoroute, alors qu’on sait que la plupart du temps en Belgique se dresse au milieu comme un mur de lampadaires. Là, près de Lavaux-Sainte-Anne, il n’y en a pas sur une longue distance, et le regard se porte au loin. L’Arc majeur, l’automobiliste le découvre, passe en-dessous.
Peu de temps avant, un panneau (comme il y en a tant vantant plus ou moins poétiquement les avantages de la région) a suggéré, dans le pays de la Lesse, près des grottes de Han, un voyage au ventre de la terre. Le passage des arcs, sur l’autoroute, n’est pas souterrain, lui ; l’automobiliste continue à filer, et l’on ne dira pas que l’Arc majeur a valeur symbolique, c’est étranger à l’œuvre entier de Bernar Venet. Cette courbe est quand même un peu comme des bras ouverts, qui se portent dans le ciel.
L’Arc majeur est, d’un bout à l’autre, une réalisation titanesque. Un exemple suffit à en donner l’idée : l’utilisation d’une grue de 750 tonnes, pas moins, le plus grande d’Europe qui soit transportable, et il a fallu neuf camions pour l’acheminer sur place, ses éléments qui y ont été assemblés. Comme il a fallu fermer complètement l’autoroute pendant 36 heures pour installer les quatre morceaux d’arcs, un seul d’un côté, trois de l’autre qui se dressent très haut.
Certes, on est dans la démesure, mais le paradoxe souligné par Jacques Henric, dès 1986, dans un numéro d’Artpress présentant le projet, se vérifie dans les faits, dans la réalité : « Voilà le signe… le plus grandiose dans ses dimensions et le moins grandiloquent, le moins ostentatoire dans ses formes et ses proportions, qu’un sculpteur ait jamais non pas délicatement, non pas dévotement déposé sur notre terre-mère, mais avec lequel il ait violemment embroché, en pleine couenne, la grosse poche originelle. »
Pour reprendre l’image, c’est du land art bien sûr, davantage du land piercing, d’une modification du paysage qui d’un coup s’acoquine avec l’art. Autre moyen, autre modification possible, le tatouage, au départ mode de marquage, d’identification. On verra dans un deuxième temps ce qu’il en est quand des artistes à son tour le transfèrent de la peau, du corps, au paysage.