On avait eu un aperçu des tableaux en marqueterie d’Alison Elizabeth Taylor à la galerie Zidoun Bossuyt en 2016 à l’occasion d’une exposition collective. Un procédé raffiné, artisanal et ancien, plutôt utilisé jusqu’au XIXe siècle pour des meubles de salon précieux ou des murs en boiserie, à l’exemple d’une pièce entière, contemporaine, que la Cornell Tech University de New York a commandé à l’artiste en 2017.
À la galerie Zidoun-Bossuyt, la présentation intitulée The needle’s eye, ne réunit que quelques pièces – huit au total – de grand format. Mais, comme dans l’exposition précédente, cette artiste américaine, née en 1973, qui vit et travaille à New-York, propose un travail à la fois critique et tendre sur base de l’imagerie de stéréotypes typiquement US et d’une région des States qu’elle connaît bien.
Née à Selma, dans l’Alabama, Alison Elizabeth Taylor a grandi dans l’univers fake de Las Vegas. Elle lui consacre ici trois toiles : deux, où l’on voit des femmes, d’âge mûr, assises devant des machines à sous. Sam’s town, réalisé en 2016 et Jolene, plus récemment, en 2019. Ce qu’Alison Elizabeth Taylor met en valeur dans son précieux travail de marqueterie, c’est la boîte du système mécanique, tandis que la vulgarité de la salle de jeu encadre le visage de la joueuse, nimbé par la lumière bleutée de l’écran. Le rêve de la maison individuelle de l’autre – collage du modèle de la maison pavillonnaire, silhouette d’un compagnon potentiel et cristaux d’un intérieur bling-bling – sert de fond au second.
Le plus fascinant de ce triptyque de « sa » ville, est Fire science, récemment réalisé. Taylor a rencontré cette jeune femme qui, toujours dans le décor de carton-pâte de la capitale du jeu, pose pour gagner sa vie en tenue de show-girl pour des snapshots rétribués. Ici, la jeune fille se repose, basquets aux pieds, gourde d’eau à la main. C’est cette pose lasse, qui crée le contraste, avec le personnage joué, et, comme dans les deux tableaux précédents, la préciosité des parties en marqueterie et les rehauts à la gouache font également contraste.
Les huit tableaux d’Alison Elizabeth Taylor, reposent sur la même technique de mélange de marqueterie, de collage (les vaguelettes des piscines de The monster’s lover et What’s in it for the snake ?), les éléments triviaux rehaussés à la gouache, gourde d’eau, gobelet de soda, canette de bière. La serviette éponge qui s’enroule autour du corps d’une jeune femme assise au bord de la piscine est travaillé avec précision. C’est l’élément central du tableau, comme la couronne de plumes pailletée de la danseuse ou encore le pull zèbre et le bandeau tigre de la joueuse au casino.
Aux deux extrêmes des stéréotypes américains, on verra un intérieur traditionnel de cabane de trappeur avec un ours empaillé et un couple traité cette fois de manière plus simple, en aplats façon BD devant un quartier d’habitation moderne. Ce qui n’enlève rien à la forte expression, ici de tristesse d’un des personnages. Voilà donc autant de petites histoires, y compris de la propre vie de l’artiste.
C’est sans doute le plus fascinant tableau de l’exposition : Still life with breast pump (2019), montre sa table d’atelier, quelques-unes de ses lectures (dont un livre sur la grande Louise Bourgeois), qui servent de socle au symbole par excellence des peintres à travers les siècles : une vanité. Alison Elizabeth Taylor jongle entre la haute précision de son travail de marqueterie et sa vie de jeune mère. Comment concilier tout cela semble crier le tire-lait représenté à côté de ses outils de travail, pinceaux et cutter ?