Tricher en permanence avec le réel dans une zone qui se situe entre le vrai et le faux, s’adapter comme un caméléon avec rapidité aux conditions extérieures fortuites et se créer un accès à la perception d’un metteur en scène : c’est ainsi que Véronique Sacrez décrit en trois temps ce qui constitue son métier qui l’a amenée à inventer le couloir mystérieux de l’hôtel d’Une liaison pornographique, le peepshow rose et coquet d’Irina Palm ou encore la maison avec jardin dans La Femme de Gilles. Sortie de la Cambre après y avoir obtenu un diplômé en architecture intérieure, elle répond à une annonce d’un élève de l’Insas, une école de cinéma belge, qui cherche une décoratrice pour son film de fin d’études. Depuis ce court-métrage, le cinéma a été comme un virus pour elle. Voir autant de gens talentueux avec des spécificités différentes engendrer une vision commune, telle a été la fascination qui l’a poussée à travailler dans le septième art. Et ce virus s’est répandu avec une vitesse foudroyante. Elle compte aujourd’hui 24 longs-métrages en tant que chef décoratrice à son actif, allant de Schacko Klack, son premier long-métrage à l’âge de 22 ans, à Valparaiso qu’elle vient de terminer à l’instant. Née en Belgique et ayant grandi dans la bande d’amis de Samsa, qui, une fois de retour de l’Insas, ont très rapidement mis sur pieds leur propre maison de production, Véronique Sacrez trouve dans le futur producteur Jani Thiltges une âme sœur et va accompagner le gang luxembourgeois dans leur pays natal.
Quant à son travail, elle le qualifie de mise en espace des lieux issus de l’univers imaginé au départ par un réalisateur. Après une lecture du scénario qui lui laisse un impact émotionnel personnel, elle relit le projet avec l’auteur du projet pour comprendre le monde qu’ils vont par la suite engendrer ensemble. L’intuition sera ensuite son guide. Elle fabrique une ossature à partir de ses émotions initiales et les concrétise sur papier sous forme de plans ou, en espace, sous forme de maquettes. Une fois qu’elle a expliqué ses intentions à son assistante, son ensemblière et son chef constructeur, il s’agit de surveiller ces travaux, tout comme une architecte d’intérieur qui va sur le chantier tous les jours pour les guider dans le choix des couleurs, des matières et pour surveiller la finition de l’idée initiale. Bien qu’ancrés dans le réel, ses décors sont tous sous-tendus par une certaine idée liée à la psychologie du personnage. Après Le Tango des Rashevski et Irina Palm, Véronique Sacrez a accompagné Sam Gabarski une troisième fois sur Quartier Lointain. Inspirée du manga culte de Jirô Taniguchi, la volonté de Véronique Sacrez fût de recréer l’époque des années soixante tout en conservant l’univers de la BD. Elle y arrive en étant fidèle aux objets et l’architecture de l’époque tout en se débarrassant d’un certain réalisme en créant des plages de couleurs unies sans le recours au moindre motif. Ainsi le choix de la palette des couleurs ressort davantage et crée l’effet recherché. Si la couleur est un élément important, la mise en espace des lieux et leur organisation est la première chose à laquelle elle pense. L’emplacement d’un évier à une hauteur de 80 centimètres ou d’un escalier étroit et raide confiné dans un coin vont avoir un impact sur le jeu d’acteur puisqu’il définit leur rapport à l’espace, tout comme un papier peint maussade ou coloré vont se répercuter sur la lumière du film. Ayant pensé pendant deux mois et demi à ce que le personnage pense, pourquoi il range telle chose à tel endroit, comment il s’y prendrait pour investir sa maison, le moment de vérité vient une fois qu’Emmanuelle Devos franchit le seuil pour devenir Elisa dans La Femme de Gilles. Le travail étant accompli, c’est maintenant à l’actrice d’investir cette maison de poupée géante, de se mouvoir dedans, chaque petit détail de la matrice prédéfinie à l’avance ayant des répercussions sur le personnage d’Elisa.
Créer des espaces à partir d’une idée abstraite et impalpable pour la voir aboutir sur pellicule, matériellement tangible mais éphémère, contrairement à une architecture réelle qui vieillit et persiste dans le temps, tel est le plaisir que cette femme de cinéma continue à mettre en œuvre dans le nouveau film de Frédéric Fonteyne en imaginant déjà la prison du gardien JC. Déjà très jeune elle adorait fabriquer des cabanes en bois, inventer des espaces et confesse : « C’est peut-être parce que dans ma jeunesse, je n’ai pas eu le mien ». Un manque qui s’est transformé en vocation, celle de créer des espaces pour des personnages nés de notre imaginaire.