C’est une femme d’un certain entrain. On lui sent non seulement de l’assurance, de la détermination, mais également une forte impulsivité dans ses gestes et ses phrases. Ses yeux se plissent presque imperceptiblement lorsqu’elle n’est pas d’accord. Susanne Jaspers m’accueille dans une petite salle de réunion des éditions Binsfeld. Dans mon dos, une porte mène à une espèce de bibliothèque où la maison d’édition entrepose ses dernières publications. Mais je ne suis pas là pour parler des éditions Binsfeld, je précise à cette jeune femme d’Aix-la-Chapelle – mariée à Georges Hausemer, et travaillant depuis une petite dizaine d’années au Luxembourg, pays qu’elle a d’abord choisi pour s’y exiler parce qu’il était, tout simplement, « un pays étranger », quasi exotique donc – mais de la Fédération des éditeurs luxembourgeois, dont elle assure la présidence depuis le début de l’année.
Les missions de cette fédération, qui regroupe de nos jours 19 éditeurs, sont évidentes. Il s’agit de mettre en avant le livre et la littérature luxembourgeoise en participant aux différents Salons du livre internationaux (Francfort, Leipzig, Paris), mais il s’agit également d’attirer le lecteur luxembourgeois vers la littérature autochtone, souvent « fourrée dans le coin le plus reculé des librairies », dit Susanne Jaspers. « Le lecteur de Luxemburgensia classique, si l’on veut, (Manderscheid, Rewenig, Jacoby), n’existe plus, ou a changé. La tendance est plutôt au polar, à la littérature de divertissement (Feltgen, Graas), qui n’existait pas encore au Luxembourg il y a vingt ans. » Attirer le lectorat donc.
C’est peut-être dans ce sens qu’il faut comprendre la liste de Bestsellers nationaux que la fédération publie chaque mois sur son site internet. « La publicité pour les livres, comme des lecteurs de journaux étrangers en ont l’habitude, n’existe pas vraiment au Luxembourg, vu la partialité des groupes de presse auxquels les maisons d’édition appartiennent. La fédération, par contre, est neutre, et peut se permettre de parler des livres qui se vendent bien. » Susanne Jaspers déplore également, à quelques rares exceptions près, dit-elle, l’absence de vraie critique littéraire, polémique et suscitant le débat, au Luxembourg. « C’est dommage que la plupart des articles ne sont qu’autant de communiqués de presse, non pas des prises de position. Cela aussi nuit à la vente d’un livre. »
C’est dans ce sens, également, qu’il faut comprendre le Lëtzebuerger Buchprais créé par la fédération il y a cinq ans. Ce prix qui récompense non seulement un livre de littérature, mais également un livre pour enfants, un livre illustré et un ouvrage scientifique, se décide par vote public, après présentation (ce qui est nouveau depuis cette année) d’une shortlist, établie par un jury, de livres choisis parmi les publications de l’année. « Cette façon d’impliquer le public dans le décernement de ce prix, c’est du marketing, bien sûr, dit Susanne Jaspers, mais rendre visible le livre luxembourgeois, c’est une de nos missions. »
Et voilà probablement l’origine d’une querelle légèrement surréelle et bien disproportionnée entre la fédération et les éditions Ultimomondo : l’aspect commercial et patronal de la fédération par laquelle Ultimomondo refuse d’être représenté. Bref, Guy Rewenig n’a que faire du corporatisme. Mais comme la fédération est le principal lien entre le ministère de la Culture et le monde de l’édition, les maisons qui ne font pas partie de la fédération sont exclus des salons, le stand luxembourgeois n’étant en fait pas un stand national, mais le stand de la fédération. Cependant cette dernière se dit prête à faire participer des non-membres aux salons, et Susanne Jaspers donne comme exemple le CNL de Mersch, qui n’est pas membre de la fédération, certes, parce qu’il est une institution qui dépend directement du ministère de la Culture.
Susanne Jaspers insiste sur le fait qu’il ne sert à rien de diaboliser la fédération, qui se veut ouverte au dialogue, qui d’ailleurs est une asbl., et dont la fonction est donc purement représentative. Et avec le départ de Christine Kremer, qui a démissionné de son poste de directrice des éditions Phi, un des membres clés de la fédération, cette dernière semble avoir d’autres chats à fouetter. Et pendant un bref instant, Susanne Jaspers a l’air un peu lasse du remue-ménage qu’un pays de si petite taille peut produire dans un milieu aussi restreint que l’édition. Elle dit : « Mier sinn net sou béis. Ët geet dach just drëms, och fir den Här Rewenig, d’Buch un dë Mann ze bréngen. »