Monopolka. S’il y avait un prix pour le meilleur nom d’une entreprise, c’est bien celle-là qui devrait le décrocher haut la main. Parce que Monopolka est accrocheur, attrayant, ça claque et c’est concis ; mais surtout parce que ce terme dit tellement de choses sur Joanna Grodecki, la cheffe de cette entreprise unipersonnelle qu’elle a fondée il y a un peu plus d’un an : elle est seule, mono, elle a des origines polonaises, et en plus, elle est deejayette et fêtarde, polka. Monopolka donc offre des services de design graphique et surtout d’établissement de cartes, mapping en anglais – qui peut aussi se traduire par unité ou logique. Là encore, les différentes définitions disent bien Joanna Grodecki, qui crée des cartes modernes et esthétiques de villes et de quartiers, valorisant les endroits branchés qui sont parfois loin du centre classique – église, mairie, école –, mais où tout se tient aussi.
À 38 ans, Joanna Grodecki a déjà enchaîné plusieurs vies : débarquée avec ses parents polonais au Luxembourg lorsqu’elle avait huit ans et demi – son père était basketteur professionnel –, elle suit une scolarité sans fautes au Luxembourg, section artistique du Lycée Michel Rodange, puis, erreur, se lance dans une formation de marketing pour atterrir dans les télécoms, à la Poste d’abord, puis chez Tango, du temps pionnier de Jean-Claude Bintz, « un visionnaire, un entrepreneur qui a entraîné tout le monde avec son dynamisme » dit-elle. Lorsqu’il part, elle trouve qu’elle n’a plus rien à y apprendre. Entre-temps, elle a bien dû se résoudre que « je suis vraiment quelqu’un de très visuel », dépose un dossier de candidature pour une formation de design de la communication à Trèves – et est acceptée. À 32 ans, elle ne rechigne alors pas à retourner à l’école pour quatre ans.
La première occasion que l’on a eu de découvrir son travail graphique était Hello, un petit guide alternatif de Luxembourg, qui justement valorisait tous les petits restos branchés aux marges qui ne sont dans aucun guide prestigieux, ni sur aucune carte touristique officielle. « À l’époque, nous habitions avenue de la Liberté et je voyais toujours les touristes avec ces horribles plans gratuits, et je me suis dit : ‘mais ils ne verront rien de cette ville !’ » se souvient-elle. Ce qui devait être son projet de fin d’études a finalement été publié – et vendu – à 2 000 exemplaires. Une deuxième édition du guide, actualisé et modernisé, est prévue chez Mike Koedinger Éditions pour le printemps prochain. Bon, il faut dire que dans le civil, Joanna Grodecki est Madame Koedinger, ce qui facilite certainement le contact avec la maison d’édition, qui est aussi son plus gros client pour les cartes publiées dans le City Agenda, Explorator ou Flydoscope. Mais elle insiste sur son nom et son indépendance. Et c’est vrai qu’on ne la voit ni soumise, ni inférieure à qui que ce soit.
« Je ne suis pas cartographe » insiste Joanna Grodecki, mais elle aime construire des mondes, « comme jadis dans le bac à sable ». Peu de gens connaissent la ville comme elle, qui la traverse sans cesse en long et en large à pied, avec ses chiens, à vélo, en bus ou en voiture. Le mois d’août 2009 a ainsi été fait de 232 kilomètres de marche, 8,4 kilomètres à vélo, 5 404 kilomètres en avion et 0,4 kilomètres à la nage, avait-elle noté dans son projet pour l’exposition Mapping August des Design Friends. Réaliser une carte, c’est hiérarchiser les informations, valoriser les données qui sont importantes pour telle ou telle lecture et en éliminer qui le sont moins. En 2007, elle participe au projet Tumbling Dice de l’artiste Véra Weisgerber au Mudam, pour lequel elle réalise deux grandes infographies avec les trajets migratoires des demandeurs d’asile. Puis elle a enchaîné sur une recherche sur le désengorgement visuel de l’espace urbain, en collaboration avec le designer Georges Zigrand. Mais elle réalise aussi des commandes d’identité visuelle d’entreprises ou d’associations sociales.
Le côté mister Hide de Joanna Grodecki, c’est J+E, Joanna et Emil (de Demo), duo de deejaying qui organise des soirées dansantes complètement déjantées dans la minuscule boîte qu’est le Barbarella, en plein red district luxembourgeois, avec codes vestimentaires – aérobic, Dallas – et tubes électro-kitsch hyper-actuels – ce qui leur vaut une réputation de nerds... Mais cet aspect-là est probablement juste une autre déclinaison de sa philosophie d’être bien là où on est.