Le comédien français Jérôme Varanfrain est installé dans le paysage dramatique luxembourgeois depuis une bonne quinzaine d’années. On est en 1994 et Marc Olinger cherche un Candide pour son adaptation de Voltaire. Le tout jeune comédien qui arrivait de Paris sera celui-là. Premiers frissons du succès (avec quelques fans à la sortie du théâtre) et premiers pas sur les planches luxembourgeoises que Jérôme ne va plus quitter, en plus de quelques engagements parisiens.
L’envie du théâtre remonte à l’enfance, quand il ressent – et apprécie – le regard des autres lors de spectacles scolaires. « On dit de beaucoup d’acteurs qu’ils jouent pour être aimés. C’est évidemment vrai. Mais il faut dépasser cela, sans pour autant perdre de vue ses blessures », signale-t-il cependant. Car pour lui, le moteur doit être de donner du bonheur, de prendre plaisir et d’y trouver une sérénité. Après avoir hésité à embrasser une carrière d’avocat, il se décide pour la formation de comédien et il quitte Montpellier pour « monter à Paris », comme on continue à dire. « Ce n’est pas vraiment un choix de vie, c’est le théâtre qui m’a choisi ». Il sera élève au Studio 34 sous la houlette de Philippe Brigaud (dont Marc Olinger et Claudine Pelletier ont aussi été les élèves) au conservatoire du dixième arrondissement de Paris. C’est là qu’il apprendra les techniques essentielles au comédien, qu’il fera en sorte de perdre son accent du sud (qu’il regrette parfois), mais aussi qu’il découvrira des auteurs, un répertoire et des personnages. « L’apprentissage technique ne doit pas être négligé même si c’est souvent difficile, répétitif, lassant. »
Les années d’études sont le moyen d’éprouver son instrument dans diverses respirations, de découvrir les mots de quels auteurs il a envie d’incarner, qui soient en adéquation avec sa sensibilité. Par le biais du théâtre et de ses rôles, il apprend aussi à se connaître lui-même, « à être soi-même en jouant un autre » et à trouver ce qui lui correspond ou pas. C’est ainsi qu’il comprend la notion de personnage, patiemment construit où chaque mot, chaque phrase apporte ses intentions, sa justesse, sa petite pierre : « on ne construit pas un personnage ex nihilo. On part des situations, des mots, des émotions. C’est plus souvent une déconstruction des clichés que l’on s’en fait. » Certains rôles resteront fortement ancrés en lui parce qu’ils correspondent à ses propres questionnements et à ses propres émotions du moment. C’est le cas de Perdican, le jeune homme de On ne badine pas avec l’amour de Musset dont il se souvient encore chaque réplique, quinze ans plus tard. « Ce rôle m’a collé à la peau parce qu’il est romantique, c’est un écorché vif. »
Après les premiers rôles au Luxembourg, il retourne un temps à Paris où il joue Outrage aux mœurs sur les procès d’Oscar Wilde, continuera les allers-retours avec la Ville lumière pour poursuivre plusieurs engagements à Luxembourg, principalement aux Capucins dont il est vite une des têtes d’affiche. Parmi les pièces qui l’ont marqué, il cite Une envie de tuer sur le bout de la langue de Xavier Durringer qui lui a pour la première fois demandé un engagement plus physique, plus dans la composition. Il découvre que le masque permet de s’engager plus loin émotionnellement. Il a également travaillé avec Antoine Boursellier (Le Bagne, L’Idiot), Alain Bezut (La Nuit des Rois), Claudine Pelletier (Les Caprices)… Pour chaque rôle est l’occasion de se parfaire : « rien n’est jamais acquis, il faut toujours apprendre, reprendre, travailler ».
C’est à l’occasion de la création de Actes sans paroles qu’il rencontre la metteuse en scène Carole Lorang dont il apprécie très vite le travail et qu’il va rejoindre au sein de la Compagnie du Grand Boube. Il se sent sur la même longueur d’onde que cette équipe qui travaille sur la confrontation du conte et de la réalité pour faire naître une troisième voie qui laisse l’absurde émerger. Il apprécie de devoir être excessif tout en restant crédible : « Carole est très humble et très perfectionniste à la fois. Avec elle, je ressens vraiment le travail d’artisan ». L’année dernière, il a joué L’Histoire de Ronald, le clown de McDonald’s de Rodrigo Garcia au Théâtre du Centaure dans une mise en scène de Marion Poppenborg, « là aussi une belle rencontre qui m’a fait découvrir une approche plus germanique et plus physique de jeu ».
La pièce a été jouée un mois à Avignon (Festival Off en 2009) et cet été pendant cinq semaines à Paris (Vingtième Théâtre). L’occasion de retrouver la capitale avec toujours la même ambivalence : « J’ai besoin de retourner régulièrement à Paris, de m’y confronter, tout en sachant que Luxembourg est l’endroit où je peux défendre de beaux rôles et vivre de mon travail. » Il sait qu’à Paris, la concurrence est plus rude tout en ayant appris à se blinder contre les échecs. Les années d’expérience lui ont donné progressivement foi en lui et il est prêt à se confronter à de nouveaux défis.
C’est ainsi qu’il a mis en scène L’Autre de Florian Zeller au TOL en 2008 et qu’il propose un épisode de Ni vu ni connu dans une chocolaterie. Une nouvelle orientation qu’il pourrait peut-être poursuivre, à moins qu’il n’aille vers le chant qu’il étudie. Il vient progressivement au cinéma (il a tourné dans Ici, Nous Trois, JCVD...), il sait que c’est un domaine où les rencontres et les opportunités doivent être suscitées. « Les choses arrivent quand on est prêt à les recevoir, tout comme un rôle n’arrive pas par hasard dans le parcours d’un acteur ». Refusant le cliché qui considère le théâtre plus complexe ou le cinéma plus facile, il parle avant tout d’engagement : « Il n’y a pas d’un côté les acteurs de cinéma et de l’autre ceux de théâtre, il y a ceux qui s’engagent dans leur métier ».
Ayant toujours le physique de jeune premier, Jérôme Varanfrain a cependant mûri et il s’interroge sur les rôles qu’il pourra interpréter à l’avenir. Appréciant l’univers d’un Jacques Gamblin ou d’un Romain Durris, il espère trouver des personnages complexes, malléables, qui se transforment, louvoient dans l’existence. En attendant, on ira le voir la saison prochaine au TOL dans Doutes mis en scène par Véronique Fauconnet et aux Capucins (avant Metz, Nancy et Chartres) dans une relecture de Tartuffe par Jacques Kremer.