La coïncidence veut que l'information soit sortie peu de temps après le film 50 Shades of Grey, qui visait pourtant à en assurer une certaine promotion auprès des populations adultes du monde entier : la fessée, encore autorisée chez nos voisins belges et français, est une pratique qui devrait, selon le Conseil de l’Europe, faire l’objet d’une interdiction plus formelle.
La nouvelle est relativement insignifiante mais les commentaires qu’elle aura suscités, jusque chez les plus lointains de vos amis Facebook ou jusqu’aux forums de discussion traitant de musique classique ou de jardinage, semblent assez révélateurs de nos nouvelles façons de consommer l’information et d’y réagir. Que l’on condamne la violence envers des humains qui n’ont pas les moyens physiques ou psychologiques de se défendre semble une évidence, quand les États eux-mêmes n’en usent plus contre les criminels. Mais interdire la fessée, c’est donner l’impression aux parents qu’on veut leur dire comment élever leurs enfants, ce qui est évidemment inutile puisque tout le monde réussit déjà parfaitement l’éducation de sa progéniture… n’est-ce pas ?
Le fait que la remontrance vienne, en plus, de « l’Europe », habituellement présentée comme le père fouettard des pauvres nations opprimées par des décisions arbitraires venues de « Bruxelles » ou de « Luxembourg » pimente encore un peu plus les discussions. Inutile de faire remarquer que ce n’est pas l’Union européenne, mais une institution dirigée par un Norvégien et qui siège à Strasbourg, le débat ne se situe pas sur le terrain rationnel. C’est comme savoir si un arbitre avait raison de siffler un pénalty ou s’il vaut mieux manger ses frites avec de la mayonnaise ou du ketchup. C’est une affaire d’opinion. Et donc, il faut donner la sienne, qui n’a pas moins de valeur que celle du plus éminent spécialiste (en l’occurrence, l’expression « spécialiste de la fessée » laisse songeur, mais on imagine bien qu’il doit y en avoir, même dans les gouvernements).
Si ce n’est déjà fait ces derniers jours, il va falloir vous y préparer pour le week-end ou la semaine prochaine : il y a un moment où vous risquez de vous retrouver mêlé à une discussion sur la fessée. Alors, que faire pour ne pas passer ni pour un parent indigne et violent adepte de punitions physiques d’un autre âge, ni pour un démissionnaire laxiste qui a engendré de futurs anarchistes qui partiront faire le djihad pour retrouver le goût de la discipline et de l’autorité qui leur aura tant manqué dans leurs tendres années ?
Vous pourriez essayer d’invoquer le fait que l’arsenal répressif est déjà bien fourni, de la privation de dessert à la coupure d’Internet en passant par la retenue préventive sur l’argent de poche ou, honte suprême, à l’échange forcé de l’iPhone 6 du coupable contre le vieux Nokia 3310 de son géniteur.
Une stratégie possible est aussi de raconter vos épisodes d’ancien combattant, au temps béni où vous étiez en âge de faire des bêtises dont les plus graves ne vous faisaient risquer que ce châtiment, certes terrible à l’époque, mais qui ne vous effraie plus beaucoup aujourd’hui. Les plus belles corrections auxquelles vous avez eu droit formeront certainement un terreau fertile à des échanges passionnants avec vos collègues ou votre belle famille. Surtout si vous commencez à les visualiser dans la position de Pam et Poum, en train de se faire administrer leur traditionnelle fessée, déculottée, par leur tante Pim.
Enfin, si ces solutions ne fonctionnent pas et qu’on vous demande, vraiment, ce que vous en pensez, malgré vos ultimes tentatives de faire dévier la conversation sur les beaux jours qui reviennent ou la troisième saison de House of Cards, vous pourrez toujours invoquer que, quelle que soit la législation, aucun gouvernement ne pourra aller à l’encontre des réflexes naturels. Il y aura toujours des mains qui « partent toutes seules », comme il y aura toujours des insultes proférées à l’encontre des automobilistes qui ne vous laissent pas entrer sur l’autoroute alors qu’ils auraient la place de changer de file.
L’ultime piste de diversion consistant, pour en revenir à la coïncidence initiale, d’avouer qu’il n’est pas nécessairement désagréable d’en recevoir, dans certaines conditions particulièrement intimes…