C’est un des nombreux rebondissements de l’affaire KBLux, du nom d’une fraude fiscale internationale présumée, partie de la banque luxembourgeoise dans les années 1990 et en passe d’être jugée en Belgique. L’affaire, de manière indirecte, s’est aussi retrouvée devant la Cour de Justice européenne qui vient de trancher sans aucune ambiguïté sur la portée des restrictions que certains États membres sont amenés à mettre en place pour lutter contre la fraude fiscale. Les deux arrêts que la juridiction a livrés jeudi montrent qu’il n’y a plus beaucoup de sanctuaires ni de tolérance en Europe pour ceux qui ne déclarent pas leurs revenus à leurs fiscs nationaux. Et qu’au nom de la juste perception des impôts, des différences de traitements en fonction de la localisation de l’épargne peuvent se justifier.
L’affaire vaut autant pour l’anecdote que pour les principes de droit que la Cour de Justice a été amenée à rappeler. Ses arrêts n’ont d’ailleurs rien de très révolutionnaire, la juridiction ayant déjà eu à juger que certaines restrictions pouvaient être acceptables dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale et de l’efficacité des contrôles menés par les agents des impôts.
Volés par des employés indélicats au mépris des règles sur le secret bancaire, des listings de milliers de clients de la Kredietbank Luxembourg (aujourd’hui KBL European Private Bankers) arrivent sur les bureaux du fisc belge. Après un premier tri en fonction de la résidence des clients identifiés, les dossiers néerlandais sont adressés à l’administration fiscale des Pays-Bas. Des résidents de ce pays sont inquiétés car ils n’ont évidemment pas déclaré leurs comptes au Luxembourg. En 2002, un couple subit un redressement qui s’accompagne d’une amende correspondant à 50 pour cent des montants non déclarés. Après la mort de son époux, la veuve aura droit à la clémence du fisc néerlandais. Le régime du « repentir » efface l’amende, mais pas le redressement fiscale qui porte sur les années 1993 à 1997. On est alors en 2003. Comment le fisc peut-il aller aussi loin dans le temps sans risquer la prescription ?
Les délais de redressement prévus par la législation néerlandaise, en principe de cinq ans lorsque les avoirs sont détenus aux Pays-Bas, peuvent être étendus jusqu’à douze années lorsque les fonds prospèrent à l’étranger. Disposition discriminatoire, avance la défense des contribuables néerlandais. Saisie de l’affaire, la Cour suprême des Pays-Bas la juge suffisamment délicate pour s’en remettre à l’arbitrage des juges européens. Pour lesquels il n’y a aucun doute : la réglementation des Pays-Bas « contribue à assurer l’efficacité des contrôles fiscaux et à lutter contre la fraude fiscale ».
La Cour nuance sa réponse en fonction du cas de figure. Si, dans la première hypothèse, les autorités d’un État membre ne disposent d’aucun indice quant à l’existence d’avoirs dans un autre pays, rien ne s’oppose à une rallonge des délais de redressement à douze ans. « Le droit communautaire ne s’oppose pas non plus, ont encore considéré les juges, à ce que (…) l’amende infligée en raison de la dissimulation desdits avoirs et revenus étrangers soit calculée proportionnellement au montant du redressement et sur cette période plus longue ». Si en revanche, les autorités fiscales ont connaissance d’un compte à l’étranger, ce qui leur permet de déclencher une enquête, rien ne peut justifier une dérogation aux délais habituels de cinq ans.
La Cour de Justice n’aura peut-être plus bientôt à trancher ce genre de question préjudicielle avec l’engagement du Luxembourg – qui n’a d’ailleurs pas trouvé bon d’intervenir directement dans ces affaires, alors que les gouvernements italien, belge et néerlandais l’ont fait – et des pays à secret bancaire, d’assurer au cas par cas une meilleure coopération avec les administrations fiscales étrangères.