Jean-Claude Juncker ménage ses forces, retient ses paroles et évite désormais de se jeter dans la mêlée, laissant ce soin à son dauphin du CSV, Luc Frieden, qui peut lui aussi se montrer efficace avec des gants de boxe. À tout le moins, le ministre du Trésor et du Budget a le mérite de ne pas tomber dans les travers des propos de « comptoirs », du genre de ceux que le ministre allemand des Finances, Peer Steinbruck, a distillés mardi à la presse en marge du conseil Écofin, comparant peu élégamment la Suisse, l’Autriche et le Luxembourg au Burkina Faso. Le Premier ministre luxembourgeois et – encore – ministre des Finances n’a pas eu l’occasion de répliquer en direct, comme s’il voulait garder ses cartouches pour la suite et surtout ne pas gaspiller le peu de capital de sympathie qui lui reste en Europe, après un G20 qui n’a pas tourné à l’avantage du Luxembourg, le pays ayant été placé sur la liste « grise » des paradis fiscaux. C’est la crédibilité internationale du Luxembourg et de celui qui incarne le mieux les intérêts du pays qui est actuellement dans la balance.
Jean-Claude Juncker s’est donc contenté d’une brève apparition, lundi à la réunion de l’eurogroupe, pour rappeler une nouvelle fois les paroles qu’il avait tenues en septembre 2008, où, plébiscité par ses pairs de la zone euro, il avait rempilé pour un troisième mandat à la tête de l’eurogroupe. Il avait aussi prévenu qu’il ne pourrait peut-être pas terminer son mandat, vu qu’il n’était pas garanti qu’il serait ministre des Finances du prochain gouvernement. Si Juncker sort de l’eurogroupe, ce n’est pas, comme la presse allemande lui en a prêté l’intention, parce qu’il en a raz-le-faitout des Allemands et des Français qui lui mettent trop de pression. Il a donc soigneusement évité de s’exposer, boudant le conseil des ministres des Finances des 27, qui suit les réunions de l’eurogroupe. Luc Frieden a été envoyé au charbon à sa place pour rappeler au Commissaire européen chargé des questions de fiscalité, László Kovács, les limites des prérogatives de Bruxelles, qui aimerait bien jouer les gendarmes en chef de la fiscalité. L’embêtant, c’est que les traités ne lui en donnent ni le pouvoir ni le mandat. La Commission européenne a présenté mardi son plan d’action en vue d’une « bonne gouvernance fiscale ». Un plan musclé qui octroierait notamment à Bruxelles le pouvoir de négocier, au nom de l’Union européenne, des accords globaux avec les pays tiers sur l’entraide en matière fiscale. Or, et jusqu’à nouvel ordre, les États sont encore souverains en matière d’impôts et les décisions se prennent à l’unanimité. Et le Luxembourg ne manquera pas d’actionner son véto s’il le faut. Les plans de Kovács sont exactement ce que redoutent les pays qui pratiquent le secret bancaire, et ne sont prêts qu’à un échange d’information « sur demande », en se conformant ainsi aux standards prônés par l’OCDE. Telle qu’elle a été formulée mardi, la proposition de Bruxelles impliquerait un automatisme de l’échange de renseignements et rendrait de fait illusoire le maintien du secret bancaire, le fonds de commerce de l’économie luxembourgeoise. Ni le Luxembourg, ni l’Autriche ne jugent « acceptable » un plan qui sera vraiment discuté en juin à la prochaine réunion des grands argentiers de l’UE.
Les dirigeants luxembourgeois ne veulent pas prêter le flanc ni montrer qu’ils pataugent dans le marigot de la fiscalité européenne. Il leur faut gagner du temps. Laisser passer les élections européennes de juin et attendre la mise en place d’une nouvelle Commission pour savoir ce qu’elle aura dans le ventre. Aujourd’hui isolés, les Luxembourgeois ne désespèrent pas toutefois de faire d’autres émules en Europe. Les dirigeants du Royaume Uni se posent eux aussi des questions sur les compétences de la Commission.