En partant à la retraite, Jean-Nicolas Schaus, qui a fidèlement servi pendant quarante ans le secteur financier (d’Land, 30.01.09), au Commissariat aux banques d’abord, puis à l’Institut monétaire luxembourgeois (IML) et enfin à la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), a lancé des petits signaux qui présagent ce que sera l’institution sous l’empire de son successeur, Jean Guill, à qui il a laissé les clefs de la maison mercredi 29 avril.
Le nouveau retraité de la CSSF a en effet remis au goût du jour les spéculations sur la fusion des deux autorités de surveillance, la CSSF et le Commissariat aux assurances (CAA). Jean-Nicolas Schaus étant un proche du ministre du Trésor et du Budget Luc Frieden, il sait sans doute de quoi il parle. Personne en tout cas au CSV ne s’est officiellement prononcé sur un rapprochement des deux autorités sous la seule tutelle de la CSSF. Ce mariage devra sans doute être discuté au sein de la future coalition issue des élections de juin prochain. Il s’inscrit d’ailleurs dans la logique de la politique menée par le gouvernement de Jean-Claude Juncker, qui n’a cessé d’accroître depuis plus d’une décennie le champ d’intervention du gendarme de la place financière (compétences étendues au contrôle de la Bourse et plus récemment aux réviseurs d’entreprises).
Politiquement parlant, le rapprochement sera facilité par le prochain départ à la retraite de Victor Rod, à la tête du Commissariat aux assurances depuis presque aussi longtemps que son homologue du contrôle bancaire. Victor Rod avait encore suffisamment d’influence politique pour conserver l’indépendance au Commissariat. La génération suivante aura sans doute moins d’emprise. L’assurance, selon Victor Rod, n’a pas grand-chose à voir avec la banque. Il n’y a presque plus que lui pour le croire. Son départ laissera en tout cas le champ libre aux tenants d’une absorption du CAA par la CSSF. Stratégiquement, « l’atomisation organique de la supervision », dixit Yves Mersch, l’actuel patron de la Banque centrale du Luxembourg (BCL), qui rêve tout haut de mettre la CSSF sous tutelle, a montré ses limites avec la crise financière.
La débâcle de la filiale luxembourgeoise de la Landsbanki islandaise a mis en évidence les faiblesses du cadre prudentiel luxembourgeois éclaté entre l’assurance d’une part, et la banque de l’autre : des commerciaux de la banque islandaise faillie jouaient les rabatteurs sur la Côte d’Azur (d’Land, 24.04.09) pour offrir à des clients fortunés des prêts garantis par leurs propriétés qui étaient hypothéquées. La banque versait du cash à hauteur d’environ un tiers de la valeur du bien, le reste était placé par sa filiale d’assurance, Lex Life, en produits obligataires pourris. Le portefeuille était en effet constitué en très grande partie de papiers de Landsbanki, Glitnir ou Kaupthing, des établissements qui n’ont pas résisté à la crise de liquidité islandaise.
Il n’est pas sorcier de se figurer qui sera la cinquième personne à siéger dans le comité de direction de l’autorité de surveillance, le gouvernement s’étant limité au mois de janvier dernier à quatre nominations, alors que la loi et les statuts de la CSSF prévoient un comité de direction piloté par cinq personnes. En cas de désaccord du quatuor, (outre Jean Guill à la tête de l’institution, le gouvernement a nommé Claude Simon et Andrée Billon (ex-BCL) et confirmé Simone Delcourt), qui va en effet arbitrer ? Jean-Nicolas Schaus juge que cette composition paire ne va pas poser de problème, vu que dans le passé (tant à l’IML qu’à la CSSF), le comité de direction n’a jamais dû avoir recours au vote, tant le consensus était fort dans le groupe de direction. Mais l’époque a changé et la crise risque de rendre les décisions du comité de direction de la CSSF moins consensuelles qu’elles ne le furent sous le règne de l’ancien patron. De plus, il faut s’attendre à davantage d’émancipation des membres de la direction, qui ont chacun de leur côté fait un assez long bout de chemin dans le secteur financier pour ne pas devoir opiner du chapeau à chaque fois que leur big boss parlera.
D’ordinaire si discret, Jean-Nicolas Schaus a donc levé mardi une partie du voile en indiquant, en marge de la conférence de presse de présentation du rapport annuel 2008 de l’institution, que cette cinquième nomination, mettant au complet le comité de direction de la CSSF, interviendrait dans les mois qui viennent. Il a même poussé l’indiscrétion plus loin qu’il n’en avait jusqu’alors habitué ses interlocuteurs, en laissant entendre que le nouveau venu sera un homme. La piste est suffisante pour cadrer le profil de celui qui siègera aux côtés de Jean Guill et sera en charge du secteur de l’assurance. Claude Wirion, actuel numéro deux du CAA a déjà un pied dans la maison CSSF, puisqu’il siège au conseil d’administration.
Côté nomination, il faudra aussi que le gouvernement choisisse un nouveau président du Conseil d’administration, puisque cette fonction était jusqu’à présent occupée par Jean Guill. Là encore, le nom de celui qui prendra sa place, et qui comme lui est issu du ministère des Finances et siégeait déjà à la CSSF, est sur toutes les lèvres. Le conseil du gouvernement devrait donc, si tout se passe comme prévu, valider prochainement la nomination d’Étienne Reuter. Et au passage, profiter de la séance pour confirmer à leur poste les actuels mandataires d’un conseil d’administration qui se limite à voter le budget, sans aucune compétente en matière de surveillance. La question sera de savoir si les trois représentants du secteur financier resteront ou non à leur place.
Le rapport annuel 2008 de la CSSF, plus consistant que d’ordinaire, est aussi le reflet d’un changement d’hommes et d’époque. On en retiendra d’abord, et c’est un virage à 180 degrés, l’exercice d’introspection que la CSSF a mené en se posant la question de l’efficacité de sa surveillance. Elle a aussi livré les noms d’établissements qui ont fait l’objet de sanctions (sauf les banques – « Nous ne pouvons pas tout communiquer », a affirmé Jean-Nicolas Schaus). C’est quand même une première.
On se doute bien aussi que le régulateur luxembourgeois, très critiqué à l’international dans les affaires Madoff et islandaise, n’allait pas se faire harakiri lui-même et que cet exercice avait surtout pour but de convaincre son monde qu’il avait bien fait son travail – ce qui n’est pas mentir d’ailleurs –, avec les moyens du bord s’entend. Il faut voir, dans cette démarche vers plus de transparence, la main d’agents qui se sont déjà émancipés de leur ancien mentor. Il y a également un effet de mode. Car, comment croire à la loyauté des propos qui assurent que la mission première de l’autorité de surveillance est la protection de l’épargne publique, alors qu’il ne fait de doute pour personne que la CSSF a plus été une prolongation du ministère des Finances pour développer les affaires de la place financière qu’un outil de flicage au service de l’épargne populaire.
Cette attitude un brin méprisante envers la petite épargne a connu son paroxysme avec l’affaire Madoff, laquelle a mis sérieusement en doute la crédibilité de la place financière ainsi que la solidité du contrôle prudentiel. On ne peut pas garantir à cent pour cent aux clients l’absence de défaillance d’une banque, se justifie-t-on dans le rapport annuel de la CSSF, rappelant que l’objectif de protection de l’épargne est une obligation de moyen et non de résultat. Contenter les attentes du public, qui s’attend à zéro défaut d’une place financière, induirait un « changement profond de méthodologie de surveillance » sans doute difficilement compatible avec le modèle libéral et minimaliste qui a toujours prévalu au Luxembourg. Mais, là encore, les temps ont changé. La pression internationale et le discours volontiers moralisateur du Premier ministre Jean-Claude Juncker ont mis à mal les anciens schémas de pensée. « Compte tenu de l’expérience vécue avec la crise, lit-on dans le rapport 2008, il devient de plus en plus évident que le régulateur doit, dans certaines circonstances, intervenir directement dans la politique commerciale des banques. »
Cette philosophie trouvera-t-elle ses marques à Luxembourg, qui se caractérise par un cadre légal étriqué où le droit d’intervention de la CSSF est réduit au minimum syndical ? Il existe peu d’exemples en Europe où les pouvoirs du régulateur sont aussi réduits qu’au grand-duché. Reste à savoir si Jean Guill, le nouveau maître des lieux, aura le cran de remettre en cause un modèle qui a permis à Luxembourg de figurer dans le Top dix des plus grands centres financiers du monde, précisément en raison de sa souplesse et de sa flexibilité. Et si les politiques auront, de leur côté, la volonté de mettre leurs déclarations de bonne intention à exécution. Il paraît quand même que le secteur financier lui-même est demandeur de davantage de régulation. Il faut maintenant juger de la sincérité de telles assertions.