Encore une fois, le Luxembourg s’est fait traîner devant la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg pour ses délais à rallonge dans des affaires de criminalité financière. Et encore une fois, les autorités se sont montrées incapables de justifier les lenteurs de l’appareil judiciaire. Elles n’ont pas su non plus apporter la preuve que les « victimes » de ces dysfonctionnements pouvaient trouver réparation dans des lois applicables et appliquées, en l’occurrence celle du 1er septembre 1988 sur la mise en cause de la responsabilité de l’État et des collectivités publiques. Car il ne suffit pas d’écrire des lois et assurer sur le papier aux citoyens le droit à une justice équitable, rendue dans des délais raisonnables, avec un « service après-vente » en ordre de marche, encore faut-il traduire cette volonté dans les faits et le faire savoir, ce qui constitue sans doute la principale nouveauté de la décision qui a été rendue par la Cour de Strasbourg dans un arrêt du 31 juillet (Affaire Shore Technologies contre Luxembourg, requête n° 35 704/06).
Six ans et huit mois pour une instruction qui n’est d’ailleurs toujours pas terminée, du moins au moment où l’arrêt était rendu, fin juillet. La société Shore Technologies, avec siège à Rombach, est em-brigadée dans une procédure pénale, entre le Luxembourg, la Belgique et Israël, suite à une plainte déposée le 27 septembre 2001 par la société Z., pour de faux chèques. Shore a vendu 2 500 téléphones à la société M., qui l’a payée en retour par chèque, faux assurément. Montant de la transaction : 589 000 euros.
Le produit du chèque fait l’objet d’une saisie par ordonnance d’un juge d’instruction le 28 septembre 2001. Lésée, Shore se porte partie civile le 10 octobre 2001, arguant que l’émission de faux chèques lui a porté préjudice. Démarre alors une procédure toujours pendante, dont l’enjeu, pour faire bref, est la récupération des 589 000 euros, revendiqués tant par Z. que par Shore Technologies.
La loi du 1er septembre 1988 dispose que l’État doit répondre de tout dommage causé par le fonctionnement défectueux de ses services administratifs et judiciaires. Selon le tableau qu’en a fait le gouvernement luxembourgeois devant les juges de Strasbourg, le mécanisme aurait la précision d’une montre suisse. De plus, les tribunaux luxembourgeois auraient déjà fait usage de la loi, outre le fait que les juges tiennent souvent compte de la durée des procédures pénales, pour alléger les peines. Un jugement du 24 février 2006 condamna ainsi l’État luxembourgeois à un euro de dommage moral à la suite d’une plainte d’un holding du nom de Farnell au cœur d’une procédure pénale qui avait duré plus de cinq ans. Il n’a pas fallu plus de background jurisprudentiel pour que les autorités concluent que la loi de 1988 offre un recours effectif en cas de fonctionnement défectueux de ses services judiciaires.
Une analyse que ne partagent pas les juges de la Cour européenne des droits de l’homme. Ils constatent d’abord que l’atténuation de peine ne peut pas être prise en considération dans l’affaire Shore, dont les dirigeants ne sont pas inculpés, mais seulement partie civile. Les magistrats de Strasbourg relèvent ensuite qu’avec la décision de 2006 (Farnell Holdings), « le gouvernement n’a pas apporté la preuve ni de la publication, ni de la diffusion dans le public ou du moins dans le milieu juridique, de ce jugement rendu par une juridiction de première instance ». Eh oui, la justice luxembourgeoise doit se montrer plus ouverte sur ses justiciables et sur le monde qui l’entoure. Cet autisme a en tout cas valu au grand-duché une condamnation pour violation de l’article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme qui accorde à tous le droit à ce que leur cause soit entendue dans un délai raisonnable par un tribunal qui décidera des contestations sur leurs droits et obligations de caractère civil.