Stalking

Proximité invivable

d'Lëtzebuerger Land du 03.07.2008

« Poursuite préméditée, malveillante, répétée et le harcèlement d’au­trui de manière à menacer sa sécurité », c’est la définition du stalking faite par le gouvernement. La notion de harcèlement obsessionnel étoffera le Code pénal comme le Premier ministre l’avait annoncé dans sa déclaration sur l’état de la nation. Le gouvernement a adopté un projet de loi dans ce sens lors de sa réunion, vendredi dernier.

« L’enfer » est la définition des personnes touchées par le phénomène. « Homicide social », ajoute Marc Stein, le psychologue de la police grand-ducale. Car les contacts, les relations sociales, les habitudes, le mode de vie et l’équilibre psychique de la victime risquent d’être détruits par les agissements d’une personne qui puise son énergie malveillante dans la convoitise et la haine, dans la fixation quasi maladive sur l’objet de sa frénésie. 

Ce phénomène est surtout connu dans le monde des célébrités, mais la majorité des cas touche des personnes privées, persécutées en majeure partie par leur ancien partenaire. Selon des statistiques allemandes, 75 pour cent des victimes connaissent leur harceleur. Cette période dure en moyenne 26 mois, il y a aussi des exemples de stalking d’un mois à trente ans. C’est la raison pour laquelle le procureur d’État Robert Biever a consacré tout un chapitre au phénomène du stalking, repris dans les observations et suggestions des juridictions et parquets du rapport annuel du ministère de la Justice de 2007. Même si un certain nombre d’actions peuvent constituer une infraction comme l’atteinte à la vie privée, la destruction d’objets, les injures ou menaces d’attentat, les calomnies, les agressions physiques, le chantage, la violation de domicile, la contrefaçon, le harcèlement par téléphone, par SMS ou par courrier électronique, « bien souvent, des agissements susceptibles de plonger la victime en une grande détresse ne tombent sous aucune qualification pénale ». 

Les forces de l’ordre ne peuvent donc pas intervenir lorsqu’une personne est constamment observée ou suivie, lorsque son « prédateur » est constamment présent dans tous les lieux publics – lorsqu’il fréquente les mêmes bistrots et restaurants, qu’il prend contact avec les connaissances de sa victime ou pire, lorsqu’il aborde ses enfants à la sortie de l’école. « Aucun de ces faits n’est répréhensible, écrit le procureur d’État, ni pris isolément, ni pris comme un ensemble d’actes qui s’inscrivent dans la durée. Plus d’une fois, le Parquet s’est vu à court de moyens face à de tels faits. »

C’est le calvaire que vit Manon1 depuis une quinzaine d’années, persécutée par une personne qu’elle a rencontrée à l’université et dont elle avait rejeté les avances. La crise avait culminé un soir où elle avait tenté de pénétrer dans la maison de sa victime. Or, la police qui s’était rendue sur les lieux disait qu’elle ne pouvait rien faire tant que la personne restait calme sur le trottoir. Or, les enregistrements d’appels rudes et vulgaires n’ont pas été pris en compte pour faire agir les agents, bien que le harcèlement par téléphone soit for­mellement interdit par la loi. Une deuxième intervention auprès d’un commissariat de proximité n’a pas eu plus d’effets.

« L’école de la police organise des cours sur ce phénomène pour in­for­mer et faire changer les mentalités des agents, ajoute le commissaire Serge Arendt, on ne peut pas laisser les victimes seules face au phénomène en disant qu’on ne peut rien faire tant que le harceleur n’est pas passé à l’acte et n’a pas transgressé les lois. »

C’est la raison pour laquelle les agents sont tenus à déterminer des agissements dans le Journal des incidents de la po­lice, pour pouvoir élaborer des sta­tistiques et pour pou­voir déceler une éventuelle récidive. Car souvent, les déclarations de victimes n’ont pas été prises au sérieux, pire, elles ont même été ridiculisées par des déclarations du genre : « Vous devriez être ravie que quelqu’un s’intéresse à vous ! » Ou bien par des insinuations comme quoi la victime serait elle-même responsable de ce qui lui arrive.

Or, le danger est réel. Manon en est parfaitement consciente, même si ses contacts avec la police n’ont pas été très productifs : « Je ne fais aucune confiance à la police, au contraire, le message a été clair – nous ne pouvons rien pour vous. » Après son deuxième appel à l’aide, les policiers avaient pris contact avec son harceleur qui avait renvoyé la balle en affirmant que c’était elle qui le persécutait. Une attitude classique dans ces cas-là. Manon mise plutôt sur son entourage, elle a eu le bon réflexe d’en informer toutes ses connaissances, les voisins, les collègues de bureau, même si ces démarches ont été pénibles. 

« L’important, c’est que les gens sachent dès le début ce qui se passe pour éviter qu’il n’y ait un doute lorsqu’elles sont contactées par le harceleur, précise Marc Stein, ce sont souvent des personnes très intelligentes et créatives qui ont développé toute une stratégie pour toucher leur proie et elles n’hésitent pas à se présenter comme la victime. Dans la plupart des cas, elles ne sont pas malades au sens psychiatrique du terme, c’est surtout un problème narcissique qui est à l’origine de leurs agissements. Elles n’arrivent pas à accepter une perte. » 

Mais l’essentiel, c’est de refuser clairement tout contact. « Rien ne sert de raccrocher cent fois et d’accepter de communiquer à la 101e, ajoute le psychologue, le harceleur l’interprètera comme un encouragement. Il retiendra qu’il suffit d’appeler cent fois pour aboutir. » Et surtout, ne jamais accepter « une dernière entrevue pour une mise au point définitive ». Car ce rendez-vous peut devenir fatal. Toujours selon les statistiques allemandes, 34 pour cent des harceleurs menacent leur victime – trente pour cent d’entre eux tiennent parole. « Une fois lancés, ils peuvent développer une énorme énergie criminelle, précise Serge Arendt, c’est la raison pour laquelle il faut employer tous les moyens légaux pour les arrêter. » Et de prendre en exemple une affaire de meurtre – un homme calciné, retrouvé dans sa voiture, dont l’ex-conjointe avait sollicité un dernier rendez-vous. La femme quittée avait préparé son acte en appelant la police, faisant croire que des roms français lui faisaient du chantage et qu’ils avait menacé de tuer son ex-mari si celui-ci ne remplissait pas leurs conditions. 

D’autres situations sont étroitement liées à la violence domestique. Comme le 21 décembre 2003 lorsqu’un homme étrangle sa femme alors que la veille, la police était intervenue sur place pour calmer une crise conjugale provoquée par des scènes de jalousie du mari. Après coup, l’enquête a montré qu’il s’agissait d’une situation de stalking. Si les agents l’avaient diagnostiqué plus tôt, une escalade aurait sans doute pu être évitée.

Des contrefaçons de papier à lettres avec entête ont servi à d’autres pour faire de fausses commandes de matériel et d’en faire submerger leur victime, des photos intimes publiées sur le net et envoyées aux collègues de bureau, le bombardement par courrier électronique font aussi partie de l’arsenal classique, tout comme la manipulation de profils sur des plates-formes sociales électroniques comme Facebook. Dans un cas, un stalker avait aussi envoyé un courrier anonyme aux rédactions du Wort et du Quotidien annonçant un attentat à la bombe au lieu de travail de son ex-compagne.Un autre ex-partenaire déçu avait entrepris de démonter la société de son ancienne épouse en appelant tous ses fournisseurs pour les prévenir que l’entreprise était au bord de la faillite et n’avait plus les moyens de régler ses factures. La dame a dû faire la même démarche à rebours pour rectifier le tir.

« Personnellement, c’est l’appui de mes proches qui m’a donné la force de tenir bon, se souvient Manon, le fait que j’ai été considérée en tant que victime et que chacun a tenté de m’aider a pu me faire oublier à quel point la peur est oppressante. » Sur­tout que le Luxembourg est petit et l’anonymat y est quasi impossible. « Dans une matière où la qualité de vie des victimes est susceptible d’être atteinte très gravement, où la majorité des cas de figure escaladent et où certains cas isolés finissent en homicide ou suicide, écrit Robert Biever, les mailles du filet législatif doivent impérativement être resserrées. » Il insiste aussi sur une approche pluridisciplinaire, « afin de combiner efficacement l’encadrement des victimes avec le but de la cessation des agissements du ‘stalker’. » Selon les données allemandes, l’intervention de la police permet de décourager les ardeurs du harceleur dans 80 pour cent des cas. Or, certains se tournent alors vers d’autres victimes ou attendent quelque temps pour revenir à charge de plus belle.

Pour remédier à l’impuissance des autorités, le gouvernement veut réagir par une nouvelle loi sur le harcèlement obsessionnel – inspirée de la législation belge. Une nouvelle disposition sera ajoutée au Code pénal, selon laquelle « quiconque aura harcelé de façon répétée une personne alors qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il affecterait gravement par ce comportement la tranquillité de la personne visée, sera puni d’une peine d’emprisonnement de quinze jours à deux ans » et/ou d’une amende. À condition que la victime porte plainte.La police devra donc apprendre à faire la part des choses : déceler les cas réels de stalking et éviter que de prétendues victimes n’en abusent pour se débarrasser trop facilement d’un conjoint indésirable.

1Le nom a été changé par la rédaction.

anne heniqui
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