Le polygraphe,dénomination scientifique du détecteur de mensonges, a fait sont entrée dans les tribunaux luxembourgeois il y a quelques semaines. Il appartiendra aux juges de la Chambre criminelle, qui devront trancher dans une affaire de pédophilie, de l'admettre comme moyen de preuve ou de rejeter l'appareil. Paradoxalement, l'utilisation de cet appareil considéré comme scientifique par les uns, décrié comme loufoque par d'autres, n'a pas encore suscité de débat de fonds dépassant le cadre du procès. Car outre l'incertitude quant à la fiabilité de l'appareil et des résultats produits, son utilisation pose des questions fondamentales en droit. En Allemagne, le Bundesgerichtshof a, en 1954 déjà, déclaré illicite l'utilisation du polygraphe lors d'instructions pénales, car elle serait contraire aux libertés individuelles. Le polygraphe mettant à jour l'inconscient de l'individu, ce dernier serait atteint dans sa liberté d'expression au détriment de son libre arbitre. De plus, par le polygraphe, le témoin pourrait s'accuser lui-même, ce qui est contraire aux règles du droit. Mais, le polygraphe a quand même fait son entrée dans la justice allemande par la petite porte. Devant l'explosion des accusations d'abus sexuels lors des procédures de divorce, de plus en plus de juges de divorce admettent le polygraphe comme moyen de preuve s'il est produit par l'accusé. Car une des questions fondamentales, au point de vue de la philosophie du droit, est de déterminer dans quel but l'utilisation du polygraphe peut être admise. Le moyen de preuve qu'il pourrait représenter est à considérer différemment s'il s'agit d'un moyen de preuve invoqué par la partie accusatrice, c'est-à-dire pour prouver la culpabilité de l'accusé, ou si, au contraire, l'accusé a recours au polygraphe pour prouver son innocence.
L'utilisation du polygraphe, pourrait-elle aussi être étendue aux témoins ? Au cours de son réquisitoire lors du procès de pédophilie devant la Chambre criminelle du tribunal d'arrondissement de Luxembourg, le procureur d'État a rejeté le polygraphe comme moyen de preuve. De son avis, l'acceptation du polygraphe entraînerait la constitution d'une preuve fondamentale qui primerait sur tous les autres moyens de preuve. Ce qui, du point de vue juridique serait inadmissible, et du point de vue scientifique irresponsable, vu le caractère aléatoire des résultats produits par la machine. Cependant, au cours de procès d'indices, les juges se basent généralement sur les examens psychologiques et psychiatriques effectués par des experts pour juger de la crédibilité des propos des accusés ou témoins. Les défenseurs du polygraphe estiment que le degré de fiabilité de ces expertises serait au moins aussi aléatoire que les résultats produits par une machine dont ils soulignent le caractère scientifique.