Fouillis ! Le terme « médiation » est dans le vent. Cela fait une vingtaine d’années que le grand-duché a adopté cette expression à connotation positive, signalisant la bonhomie, l’harmonie, une certaine zen-attitude très à la mode. Détendez-vous, on s’occupe de vous. Au Musée d’art moderne (Mudam), des « médiateurs » et « médiateurs en salle » accueillent le visiteur pour expliquer et mener des visites guidées, une agence spécialisée en communication et en marketing s’est approprié le terme, la console portable Nintendo DS est « un outil de médiation technique » et en France, le « médiateur du livre » sillonne la province pour promouvoir la lecture dans les petites communes.
L’appellation n’est pas contrôlée, ce qui peut engendrer des confusions et des abus. La médiation à toutes les sauces. Or, à l’origine, elle ne signifie justement pas une prise en charge du citoyen. Au contraire, il s’agit d’une tentative de changement d’attitude, recherchant la responsabilisation des personnes qui ont de plus en plus tendance à faire régler leurs conflits par des tiers, en cédant la patate chaude à une personne qui représente une certaine autorité : la police, l’avocat, le juge. À l’extrême se situe l’exemple américain où tout est réglé par le juge – une attitude illustrée par la célèbre histoire de chat dans le four à micro-onde.
« En portant plainte, les citoyens perdent le contrôle de la situation, » explique Alice Risch, la présidente de l’association luxembourgeoise de la Médiation et des Médiateurs agréés (Alma). « La médiation en tant que pilier de la société : elle permet de créer et de renforcer les liens sociaux, ce qui s’oppose au processus d’individualisation à outrance que nous connaissons aujourd’hui, précise-t-elle, la responsabilisation des personnes en réponse à la judiciarisation de la société. » Dans la pratique, un jugement n’arrive que rarement à calmer les esprits. Car il n’est pas toujours exécuté – ce qui engendre de nouvelles plaintes et procès. Un tourbillon auquel il est difficile d’échapper – les conflits de voisinage fournissent des exemples à outrance. « Il est important de proposer la médiation dans les cas où les personnes sont obligées de se côtoyer, ajoute Alice Risch, c’est le cas pour les voisins, les collègues de bureau, les membres d’une famille vivant sous un même toit. »
La fonction de médiateur est donc une profession à part entière avec une formation spécifique à la base, un propre code de déontologie et des séances de supervision. C’est la raison pour laquelle les quarante membres de l’Alma revendiquent un statut légal. Selon eux, la médiation se décline comme un « processus volontaire de création et de gestion du lien social et de règlement des différends, dans lequel un tiers impartial, indépendant et formé aux techniques de la médiation participe, à travers l’organisation d’échanges entre les personnes ou les institutions à améliorer leur relation ou de gérer un différend qui les oppose ». Cette définition différencie le médiateur des professions qui oeuvrent dans un « esprit de la médiation ».
« Souvent, j’entends dire les gens qu’ils font aussi de la médiation, explique Alice Risch, il s’agit d’assistantes sociales, de personnel soignant, d’enseignants, d’agents de police ou de juges. C’est très positif qu’ils agissent dans l’esprit de la médiation, mais leurs tâches sont fondamentalement différentes de celles de la profession qui doit fonctionner selon des règles précises. Une erreur fondamentale par exemple est de prendre parti, d’exprimer un jugement sur un comportement. Le médiateur doit rester neutre. Sa formation lui permet aussi de déceler des problèmes latents comme la violence par exemple. »
Gérer les conflits dans une société qui a tendance à les fuir est donc une réelle mission. La médiation est une façon – entre autres – de les régler. Et elle connaît ses limites. Notamment lorsqu’une des parties refuse de s’impliquer. « À la base, le médiateur part du fait qu’un conflit peut aussi représenter la chance d’un nouveau départ, même s’il est généralement perçu comme quelque chose de négatif qui coûte de l’énergie, du temps et qui peut avoir un effet néfaste sur la santé, » explique Paul Demaret, le coordinateur du Centre de médiation de Luxembourg1. À l’instar de l’idéogramme chinois du mot « conflit », le médiateur part du fait qu’il est formé de deux composantes : le danger et la chance. « Le conflit peut être vécu comme une crise dans l’interaction produisant deux effets : l’affaiblissement sur le plan personnel et l’affaiblissement sur le plan relationnel, poursuit Paul Demaret, le mode de régulation des conflits se fait en fonction de la répartition du pouvoir. » Concrètement, trois voies se présentent : la négociation entre parties, la médiation ou l’arbitrage avec l’intervention d’une tierce partie et le jugement du tribunal avec des règles strictes et un cadre déterminé.
Le rapport de force entre parties est donc un des facteurs déterminants du déroulement d’une médiation. « En ce moment, une discussion entre professionnels est en cours pour déterminer si la médiation a un sens dans les cas de violence domestique, précise Alice Risch. À mon avis, il faut faire la différence entre la violence structurelle, répétitive et une crise ponctuelle, déclenchée par un événement exceptionnel. » Là où il s’agit du cycle de la violence proprement dit, les rapports de force entre les protagonistes sont tellement discordants que la médiation a atteint ses limites. « Par contre, le fait qu’il y ait une hiérarchie entre les parties n’est pas forcément un obstacle au succès de la médiation, ajoute la présidente de l’Alma, c’est le cas pour la médiation familiale entre parents et enfants par exemple, ou entre patron et salarié – pour autant qu’il n’y ait pas de mauvaise foi. »
Car en fin de compte, tout dépend de la capacité des parties d’écouter et de se mettre dans la situation de l’autre. « Une situation n’est jamais totalement noire ou blanche, souligne Alice Risch, les données ne sont jamais complètement objectives. » Un exemple classique lors d’un divorce est celui où une femme se retrouve sans perspectives parce qu’elle a cessé de travailler pour élever les enfants. Le couple se sépare et la situation s’envenime lorsque le mari refuse de prendre en charge son ex-épouse. Le défi du médiateur est d’ouvrir une voie pour, d’une part, responsabiliser le mari et lui faire comprendre que la situation précaire de l’épouse résulte d’une décision qu’ils avaient prise ensemble à l’époque et, d’autre part, de faire changer le ton accusateur de la femme. Cette discussion permettra dans certains cas de trouver un accord de compensation au cas par cas, sans que le juge doive trancher sur tous les points. « Des accords partiels sont aussi possibles, ajoute Alice Risch, mais il s’agit surtout de renforcer la confiance, parfois il faut les déconcerter pour déclencher leur imagination et leur faire voir toutes les options possibles, alors que jusque-là ils n’avaient considéré que les seules possibilités – en général diamétralement opposées – qui sont à l’origine de leur conflit. Le médiateur doit réaliser une sorte d’empowerment pour qu’ils aient le courage d’envisager une autre voie, de considérer l’avenir au lieu de rester figés dans le passé. En général, les gens ont bien plus de potentialités qu’il n’y paraît. »
Au début des séances, les parties s’adressent chacune au médiateur, à la fin, elles re-communiquent entre elles et se retrouvent au stade de la négociation où le médiateur peut s’effacer. « L’approche destructive du départ s’est développée en une approche constructive à la fin, » ajoute Paul Demaret.
Le Parquet en charge de la protection de la jeunesse ordonne souvent des médiations concernant les délits mineurs – cette approche permet de fournir une réponse rapide au jeune délinquant – pour que les victimes puissent obtenir réparation. La confrontation avec la personne lésée fait sans doute plus d’effet que l’index levé du juge de la jeunesse ou sa sentence. « C’est une démarche extrêmement importante pour tout le processus éducatif du jeune, » précise Alice Risch.
Le souci de désencombrer les tribunaux fut un objectif de la loi du 6 mai 1999 sur la médiation pénale. Mais le législateur n’a pas pris la peine de régler les dispositions sur la profession. C’est la raison pour laquelle la députée socialiste Lydie Err a déposé en 2002 une proposition de loi portant introduction de la médiation civile et commerciale dans le nouveau code de procédure civile. « Faire de la médiation dans le domaine judiciaire un outil pour résoudre des conflits, tout en défendant le lien social, est l’objectif primordial de la présente proposition de loi, » écrit-elle dans l’exposé des motifs. Et de reprocher au législateur d’avoir tenté d’instrumentaliser la médiation par la loi de 1999 : « Si en effet la médiation est instaurée dans le but de rehausser l’image des pouvoirs publics, il s’agirait d’une opération de promotion de l’État plutôt que d’une médiation au sens propre du terme. Au risque de trahir le sens même de la médiation, il faut éviter que des effets secondaires, pour louables ou compréhensibles qu’ils soient, passent au rang d’objectifs primordiaux. » Il s’agit de la décharge des tribunaux et la « diminution du mécontentement des justiciables devant les lenteurs de la justice ».
Depuis lors, le gouvernement a initié des textes qui prévoient un rôle important de la médiation, comme par exemple dans la réorganisation du Centre de psychologie et d’orientation scolaires, la formation professionnelle, l’aide à l’enfance, la réforme du divorce ou le projet de loi sur la responsabilité parentale. La Commission européenne est aussi sur le point de finaliser une directive sur la médiation. Le texte devra ensuite être transposé dans la législation luxembourgeoise.
« Il est certain que la demande est en train d’augmenter, commente Alice Risch, ce qui rend urgentes la légalisation et la réglementation de la profession. Pour tout ce qui est des procédures en justice, il est important que la médiation ait lieu avant le passage en justice. C’est notamment ce que l’Alma a écrit dans son avis sur la réforme du divorce. » C’est aussi la raison pour laquelle les deux formes de résolution de conflits doivent être mis sur un pied d’égalité. Notamment en ce qui concerne l’accès à la médiation et son financement. Il n’y a pas de raison que l’État prévoie de rembourser un avocat dans le cadre d’une assistance judiciaire sans se soucier de savoir si la personne a les moyens de se payer la médiation.
1 Lors d’une conférence sur la médiation, le 24 avril au Kulturhaus de Mersch.