Les objectifs de l’Association pour la promotion de la transparence a.s.b.l. (APPT) sont ambitieux. Dans les statuts, il est précisé qu’elle est apolitique et qu’elle a pour but de promouvoir la transparence et l’intégrité de la vie publique, d’informer sur la corruption et les moyens aptes à réduire ce phénomène, de collaborer avec d’autres associations poursuivant des buts similaires en vue de la réalisation de ceux-ci.
Est-ce l’expression d’une conscience morale pointue, affichée par les initiateurs de l’association – trois avocats et un réviseur d’entreprise – ou est-ce une simple action servant à redorer le blason du Luxembourg – ou de leurs métiers du moins ? Car un des arguments avancés est que le grand-duché, dont la place financière est en ligne de mire depuis l’éclatement de la crise financière et économique, ferait bien de se donner quelques règles de conduite pour compter parmi les « partenaires sérieux » sur la scène internationale.
«L’initiative a été lancée par un groupe de personnes qui partagent les mêmes opinions en la matière, précise le président Yann Baden, et qui ont toutes déjà été confrontées à ce genre de phénomène. Par exemple dans le cadre d’audits, de mandats de justice ou de marchés publics, où les autorités leur ont refusé l’accès aux dossiers. » Il n’y a pas eu d’autres incitations venant de l’extérieur, insiste-t-il d’emblée, donc pas de téléguidage non plus.
L’idée de base est de sensibiliser le public sur le sujet sans forcément pointer du doigt les cas de grande corruption. Prévenir ce fléau en essayant d’insister sur la nécessité de transparence, comme le décrit Serge Marx : « La corruption est une des problématiques qui découlent du manque de transparence. Les conflits d’intérêts y sont par exemple aussi liés. Il y a des dossiers dans lesquels, en tant qu’avocats, nous sentons que quelque chose n’est pas net, qu’il y a peut-être eu des accords tacites entre les entreprises, mais que nous ne pourrons jamais démontrer. »
Un des problèmes fondamentaux est l’absence de public awareness, la population luxembourgeoise n’est pas consciente du danger. Car le manque à gagner est réel. « Selon un rapport de la Banque mondiale, sept pour cent du revenu des gens sont nécessaires pour réparer les dégâts causés par la corruption. Une population qui dispose d’un pouvoir d’achat aussi important qu’ici est moins regardante, poursuit Yann Baden, et en face se trouvent des pouvoirs publics, des administrations ou des entreprises qui n’ont pas l’habitude de devoir rendre des comptes. » Un exemple ? « Après l’explosion d’un dépôt de feux d’artifices à Enschede aux Pays Bas en mai 2000, une enquête a révélé qu’il y a eu trop de matériel stocké parce que les autorités de contrôle avaient reçu des pots-de-vin. Enschede, ce n’est pas l’Afrique profonde. » La catastrophe avait fait 22 morts et un millier de blessés. Le public doit donc prendre conscience que chacun peut être touché par ce phénomène. Et questionner de vieux réflexes qui semblent évidents, mais qui peuvent cacher un conflit d’intérêt. Ce qui signifie un profond changement de mentalités, dans un petit pays où chacun connaît tout le monde.
Au grand-duché, des enquêtes sont en cours, notamment au sein du Centre pénitentiaire, où un membre du personnel a été inculpé et suspendu de ses fonctions pour faux et corruption.
« Notre but n’est pas de dire que le Luxembourg est un pays corrompu, souligne Yann Baden, mais c’est la manière de fonctionner qui ne va pas. Pourquoi est-ce que des questions restent sans réponse sous prétexte qu’il s’agit du ‘secret de l’administration’ ? Et lorsqu’on parle de politique, il faut tout de même rappeler qu’elle se sert des deniers publics et qu’elle doit rendre des comptes à ceux qui les paient. » Selon l’avocat, le budget de l’État est dressé de façon illisible et des postes cachés encouragent l’occultisme. La gestion des fonds spéciaux n’est pas non plus facile à comprendre. Qu’en est-il des contrats dont les montants sont tout juste sous le seuil qui nécessite une publication en tant que marché public ou même une loi ? Cette limite a d’ailleurs été augmentée de façon substantielle, de 7,5 millions d’euros à quarante millions, quelques semaines avant les élections en juin.
Le président de l’APPT donne l’exemple des asbl, mutées en associations para-étatiques, et les efforts de la Cour des comptes pour mettre le doigt sur la plaie (d’Land, 30 janvier 2009). Ce sont des associations qui exercent des activités de service public, sans autonomie par rapport au ministère. Elles sont surtout financées par des fonds publics et leurs organes dirigeants sont composés en grande partie de mandataires politiques ou de fonctionnaires.
« L’effet d’échapper aux mécanismes de contrôles de l’État et aux règles des marchés publics est-il le but recherché ?, s’interroge Yann Baden. Sans vouloir aller jusqu’à dire que le Luxembourg est une ‘république des copains’, il n’est pas exclu que tous les services rendus sont à charge de revanche et qu’il suffit de connaître certaines personnes pour voir s’arranger les choses. » Dans le cas de l’enquête sur les associations sans but lucratif, il ne suffit pas de dire que personne ne s’est enrichi personnellement pour se défaire de sa responsabilité. « Il reste que le mécanisme légal a été contourné consciemment et la question est de savoir si les personnes concernées ont vraiment agi de bonne foi, » insiste Yann Baden.
D’abord, la population doit vouloir savoir, ensuite, il faut cultiver la transparence, l’obligation de rendre des comptes. Pas seulement dans le domaine public, d’ailleurs. L’influence des lobbies par exemple n’est pas sans conséquences. Yann Baden cite le domaine médical avec la préférence des médecins pour les médicaments chers au lieu de prescrire des substances génériques. Les conséquences de ces actes se font sentir au niveau de l’assurance maladie. Ou encore la pratique des ristournes en pharmacie. Ou bien les invitations adressées aux médecins par les entreprises pharmaceutiques pour assister à des congrès organisés dans des lieux exotiques, aux frais de la princesse. Pratique courante dans le milieu de l’automobile aussi d’ailleurs.
Personne n’est à l’abri des tentations. « Même pour des montants de quelques centaines d’euros, des personnes ont été épinglées, poursuit Yann Baden. Sauf qu’il est plus facile d’enquêter sur ces ‘petites’ infractions que sur la corruption à grande échelle. » L’année dernière, la Cellule de renseignement financier du Parquet de Luxembourg a traité treize dossiers et a saisi un montant de 64,3 millions d’euros.
L’organisation Transparency International définit la corruption dans le secteur public comme l’abus d’une charge publique à des fins d’enrichissement personnel : corruption de fonctionnaires, versement de pots-de-vin dans le cadre de marchés publics, détournement de fonds publics. Elle fonde ses enquêtes avant tout sur la perception de la corruption, car « la fréquence des poursuites traduit moins la prévalence de la corruption d’un pays que la capacité de l’appareil judiciaire de ce pays à la sanctionner et/ou celle des médias à dévoiler des affaires de corruption. » Selon un sondage mondial publié en mai, la méfiance se fait sentir surtout à l’égard des entreprises. La faiblesse des réglementations et le manque de responsabilité des entreprises privées en sont les ingrédients, surtout maintenant en temps de crise.
Selon le communiqué, « dans environ un cinquième des pays et territoires sondés, y compris parmi les plus grands centres financiers mondiaux comme Hong Kong, le Luxembourg ou la Suisse, les personnes interrogées ont cité le secteur privé comme étant le secteur le plus corrompu. » Au hit-parade luxembourgeois des institutions jugées comme étant les plus corrompues suivent les médias, ensuite les agents publics/fonctionnaires et les partis politiques, puis la justice devant le parlement/pouvoir législatif. Quatre pour cent des 504 personnes interrogées par TNS Ilres (enquête par internet) en novembre 2008 ont déclaré avoir payé des pots-de-vin dans l’année écoulée. 48 pour cent d’entre elles jugent efficaces les actions actuelles du gouvernement en matière de lutte contre la corruption. 18 pour cent pensent le contraire.
Dans ce contexte, faut-il encourager les signalements ? Une question délicate qui risque de basculer dans l’autre extrême, la dénonciation abusive. D’ailleurs, les fonctionnaires sont déjà censés dénoncer tout fait pénal dont ils ont connaissance.
«Pourquoi ne pas installer une ligne de téléphone auprès des autorités judiciaires ?, lance Yann Baden. Ou désigner une personne whistleblower dans les administrations ou dans les grandes entreprises, chargée d’informer les supérieurs ? Car souvent, c’est dans le middle management que ces choses-là arrivent et la direction n’est pas au courant. »
Les membres de l’APPT comptent adhérer prochainement à Transparency International, lancer un site internet et diffuser des communiqués. Cependant, ils ne visent pas les cas particuliers et ne comptent pas mener des investigations à l’instar d’autres antennes de Transparency International. Or, face aux opportunités pour les entreprises de décrocher des contrats juteux dans le cadre des investissements prévus par le plan de relance du gouvernement, il faudrait doubler de vigilance. Ce qui nécessite plus d’empoigne et le courage de nommer un chat un chat.