« Justice must not only be done but be seen », c’est par ces mots que le président de l’association luxembourgeoise des avocats pénalistes (Alap), Roland Michel, a ouvert mercredi 29 avril le débat politique sur la justice en espérant que ce sujet deviendra une des priorités de la campagne électorale. Mais les points à débattre n’étaient pas censés intéresser les masses : réforme de la Cour de cassation, création d’un Conseil de la justice, droits de la défense et de la victime dans le cadre d’un procès équitable, la politique carcérale et ses alternatives étaient les points sur lesquels des représentants de sept partis – dont cinq avocats – pouvaient étaler les arguments de leur corps de troupes. Le dernier point à l’ordre du jour ne fut d’ailleurs pas développé, faute de temps. La politique carcérale devra donc attendre.
Le débat n’a pas attiré les foules, il y avait avant tout des avocats et la magistrature n’était que très peu représentée. Un certain malaise se fit aussi sentir lorsque les avocats francophones réalisèrent que toute la discussion se tiendrait en luxembourgeois et qu’il n’y avait pas de traduction prévue. Ils finirent par quitter la salle après quelque temps seulement, sans doute pour ne pas paraître impolis.
Grosso modo, les partis n’avaient pas de grandes objections quant aux revendications formulées par l’Alap. La réforme de la Cour de cassation doit favoriser l’indépendance de cette instance par la nomination exclusive de juges « casseurs » au lieu de se limiter à trois juges spécialisés et de deux juges de la Cour d’appel qui doivent décider de la qualité des décisions rendues par leurs confrères. En outre, il faudrait une séparation physique de cette dernière instance de toutes les autres – difficilement réalisable maintenant que la Cité judiciaire est enfin fonctionnelle. Mais il faudrait avant tout que les juges motivent mieux leurs arrêts et cessent de s’acharner sur un formalisme excessif – comme l’a d’ailleurs reproché la Cour des droits de l’hommes de Strasbourg. Mais attention : s’il faut une Cour de cassation composée exclusivement de juges particuliers, les barreaux devront eux aussi y répondre par des avocats spécialisés, met en garde d’avocat socialiste Tom Krieps. « Je veux bien que la Cour soit composée exclusivement de juges ‘casseurs’, ajoute le procureur d’État Robert Biever, présent dans la salle, mais qu’on ne vienne pas nous rabâcher les oreilles sur une administration dégraissée si sept magistrats sont occupés à traiter la petite centaine de dossiers par an dont la Cour est saisie actuellement. »
La création du Conseil de la justice – qui, selon l’Alap, ne doit pas devenir un « ombudsman bis » sans force de frappe réelle – a aussi eu l’approbation générale : équilibre de la composition entre magistrats et avocats – les deux composantes essentielles de la justice, selon l’Alap –, indépendance par rapport aux pouvoirs politiques, transparence des décisions rendues, démocratisation de la justice etc. « Et pourquoi ne pas y faire siéger des personnes issues de la société civile ? » ajouta le député vert Félix Braz. Un meilleur accès à l’information, la publicité des jugements, plus de transparence sur les procédures et le bannissement des corporatismes furent aussi évoqués. Sur la séparation des pouvoirs, le procureur d’État Robert Biever informa juste que les juges d’instruction sont nommés pour trois ans par le ministre de la Justice.
Il faut des points de contacts entre magistrats et avocats, il faut renforcer les relations professionnelles entre les deux métiers – tel était aussi le credo de la soirée. En apparence seulement. Car dès que le sujet des droits de la défense fut abordé, les bons sentiments retombèrent comme un soufflé. « Les juges n’appliquent pas toujours les lois que nous votons au parlement ! » s’offusque l’avocat et député libéral Xavier Bettel. Et de renchérir que certains magistrats n’hésitaient pas à lancer aux avocats qu’ils pouvaient toujours aller devant la Cour de Strasbourg s’ils n’étaient pas contents. Hilarité générale, les langues se délièrent. Chacun avait une anecdote du même genre à raconter. Juges, policiers, Inspection générale de la police – tout le monde y passait et l’avocat Roy Reding (ADR) n’hésita pas à employer un langage ridiculement viril pour recommander à ses jeunes confrères d’avoir le courage à ne pas jouer le jeu des policiers lors de leurs interrogatoires dignes d’un « théâtre de marionnettes ». Fini le noble discours sur la dignité de l’homme et la sérénité de la justice – termes employés surtout dans le contexte de la comparution immédiate, dont l’Alap soutient l’introduction, mais qui ne fit pas l’unanimité dans la ronde politique. Le procureur d’État était lui d’avis que la façon dont la comparution immédiate était organisée en France était plutôt un abattage qu’une justice digne de ce nom.
Mais il se dit aussi profondément choqué par la tournure qu’avait pris le débat, « une diatribe contre la magistrature ». Maintenant que la composition du Conseil de la justice était un sujet à débattre, une telle attitude ne pouvait nullement « faire avancer le schmilblick ». Surtout que les opposants à la composition mixte avocats-magistrats du Conseil faisaient légion et s’en trouvaient confirmés. « Il est normal qu’il y ait des conflits entre avocats et juges, grondait-il en fin de débat, mais je ne me permettrais jamais de parler des avocats en ces termes-là ! » Et de se dire profondément choqué de la « haine » exprimée à l’encontre des magistrats. Cette interprétation ne fut cependant pas partagée par toutes les personnes présentes au débat ce soir-là. Car il s’agissait plus de mépris que de haine. Ce qui est peut-être bien pire.