Obsolescence, tournevis et pâtisseries

d'Lëtzebuerger Land vom 09.02.2024

Margé le froid glacial qui sévit en cette mi-janvier, ils sont plusieurs à avoir rejoint Saeul, bouilloire, grille-pain ou machine à café sous le bras. Dans la salle des fêtes de la plus petite commune du Luxembourg (960 habitants), boissons chaudes et petits gâteaux les attendent. Mais ce n’est pas une kermesse qui se tient là : sur les tables, de lourdes caisses à outils sont disposées et, juste derrière, des bénévoles à l’air concentré s’affairent, outils en main. Nous sommes dans l’un des trois rendez-vous organisés ce week-end au Grand-Duché par l’asbl Repair café Lëtzebuerg. Ce type d’événements, imaginés en 2009 par une militante écologiste et journaliste néerlandaise, consiste à mettre des outils à disposition du public pour réparer, avec l’aide de volontaires, divers objets du quotidien. Comme nous l’explique Marcel Barros, président de l’association, dans les faits ce sont surtout les réparateurs qui sont à l’ouvrage. « Souvent les gens n’osent pas mettre la main à la pâte, explique-t-il. Mais ils prennent courage en nous regardant ! ».

On déniche quelques intrépides comme Giovanni, qui travaille dans la finance et joue les « assistants ». « J’ai toujours su démonter, mais pas remonter ! rigole-t-il. Ça fait un an que je viens aux Repair cafés, pour apprendre ». Quant à Norbert, mordillant une branche de ses lunettes, il regarde intensément un bénévole analyser son aspirateur. Lorsque celui-ci lui explique qu’il va tenter de contourner le module électronique de l’appareil, il acquiesce silencieusement. Jacques, un volontaire avec une carrière d’ingénieur derrière lui, est un peu plus sûr de lui. « J’ai toujours tout réparé chez moi, regarder faire des artisans qui ne savaient pas travailler m’agaçait, explique-t-il. Aujourd’hui, avec les tutoriels sur Internet, on peut apprendre facilement ». L’association ne dispose que de ressources limitées en pièces détachées et ne peut pas toujours se substituer à l’intervention d’un professionnel ou du fabricant, qui peuvent facturer un montant aussi élevé que le coût d’un appareil neuf. « Utiliser des pièces démontables et donc mieux réparables, ça représente un surcoût pour l’industriel » glisse Jacques.

Marcel Barros, le président, a appris à bricoler très jeune en famille. « Quand on a peu de moyens, on apprend vite » explique-t-il. Présent depuis la création de Repair café Lëtzebuerg en 2013, il coordonne 170 bénévoles intervenant dans tout pays et jusqu’à Longwy ou Arlon. « Ce sont les Belges de Repair for future qui nous ont guidé à l’origine » indique-t-il. Avec environ trois événements par week-end, l’association luxembourgeoise n’a pas à rougir de son dynamisme. Le Cell (Centre for Ecological Learning Luxembourg) co-organise les Repair cafés avec l’association de Marcel Barros, qui bénéficient du soutien du ministère de l’Environnement et de fonds comme ceux du Leader, un programme européen d’initiatives en faveur du développement rural. Les intercommunalités et les communes accueillent volontiers les Repair cafés : en plus d’un service apprécié des habitants, ça leur permet d’améliorer leur note dans le cadre du Pacte Climat, et ainsi de bénéficier de subventions supplémentaires. Marcel Barros est lui-même conseiller énergie pour Klima-Agence, désignée par le Ministère comme « pôle de compétences pour la gestion et l’assistance technique » du Pacte Climat. « Depuis la crise sanitaire, et encore plus avec la hausse des coûts de l’énergie et de l’immobilier, on a de plus en plus de monde dans nos événements » remarque ce dernier, également conseiller communal de Mertzig.

Dans la salle des fêtes de Saeul, la moyenne d’âge des réparateurs se situe plutôt au-delà de cinquante ans. La majorité des « clients » (qui sont venus, pour la plupart, avec un petit billet pour l’association) n’en est pas très loin, à l’image de Viviane et Joseph, un couple de bikers venu avec son appareil à fondue fabriqué en 1998. Joseph est absorbé dans l’observation du dépannage. « J’aime mes objets, je ne veux jamais rien jeter, confie Viviane. Quand je rachète un appareil, les vendeurs me disent de ne plus m’attendre à ce qu’il tienne trente ans ». Atmosphère de victoire quelques mètres plus loin : une bouilloire a été ramenée à la vie. « On cherche des jeunes, pour les dépannages en informatique », glisse Marie-Claude, chargée de l’accueil. En attendant la montée en compétences, les bénévoles du Repair café sont en première ligne pour lutter contre l’obsolescence programmée ; avec les moyens du bord.

Benjamin Bottemer
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