Avec Saladany, l’Afrique à Esch

d'Lëtzebuerger Land vom 19.01.2024

Dans la grisaille hivernale de la rue de l’Alzette s’ouvre soudainement une fenêtre scintillante sur l’univers de l’art et de l’artisanat ouest-africain. La boutique-galerie Saladany y expose pléthore d’objets étonnants qui ont trouvé leur chemin jusqu’à Esch depuis le Burkina Faso, le Sénégal, le Mali, la Côte d’Ivoire ou encore le Ghana. La magie opère dès l’entrée dans le local en forme de tube. Le charme des masques envoûte peut-être en premier. Une place de choix revient au masque soleil burkinabé qui s’expose même en version couleur, mais aussi aux magnifiques masques mossis et leur enchevêtrement de triangles noirs et blancs, ou aux mystiques masques lapin dogon.

Au cœur du magasin de Sara Bolliri et de Serge Daniel Kabore se trouvent les meubles. Le couple s’est rencontré à Ouagadougou où Sara était en poste, pendant quatre ans, à l’ambassade du Luxembourg. « Très vite, j’ai traité avec des artisans locaux pour me faire confectionner mes tables, mes chaises, des commodes… », et elle tombe amoureuse non seulement des formes africaines et du savoir-faire des artisans, mais aussi de l’esprit d’ouverture avec lequel ils accueillent les idées de Sara. « Tout est possible. Il n’y a pas de standards rigides ni de limites à la création », souligne-t-elle. De ce constat, ainsi que de la joie que procurent les cadeaux offerts aux amis à la maison – « après chaque visite nous retournions à Ouagadougou de nombreuses commandes en poche » – naît l’idée de mieux faire connaître ces objets au Luxembourg. Après la fin de son contrat, Sara s’interroge ainsi comment bénéficier de l’expertise qu’elle a acquise, a fortiori que son mari est lui-même artiste (et danseur). « Nous avons commencé par un pop-up à Esch, puis entretenu l’idée d’une boutique en ligne mais qui n’a pas abouti car les gens ont besoin de voir, de toucher les œuvres ». La pandémie, puis les difficultés politiques dans certains pays ouest-africains faisant en sorte que le tourisme chute de façon drastique et que les artisans ne vendent plus guère sur place, les deux se lancent définitivement en concluant un bail au centre de Esch, « cher, même si les prix ont un peu baissé ». Saladany ouvre en juin 2021.

Si le Burkina Faso est au-devant de la scène, une belle part est également faite aux peuples la falaise Bandiagara du Mali. Les masques, portes et serrures dogon, sont volontiers intégrés aux créations de meubles. Une part des œuvres est d’ailleurs achetée directement aux artisans, une autre part est commandé, en co-création avec les artistes. Une des grandes fiertés du couple est la possibilité pour les clients de s’impliquer dans ce processus créatif, en formulant leurs propres idées et désirs pour les armoires, commodes, avec comme résultat des produits véritablement uniques. Ce n’est qu’un reflet parmi d’autres de la détermination de Sara et de Serge de faire de Saladany un vivier d’échanges où la coopération est à la fête. Sans cesse, ils dénichent des opportunités pour faire venir artistes, exposants ou auteurs. Dernier exemple, une exposition du peintre camerounais Junior Njweipi qui vit entre Vianden et Paris.

Fabuleux sont aussi les fauteuils de jardin de la marque franco-sénégalaise Djilène Créations, tissés en fils de pêche colorés. Les légendaires corbeilles sénégalaises en plastique recyclé ne manquent pas, un quasi-emblème du tourisme dakarois, ainsi que les tapis (de prière) dans une sélection de couleurs qui invite à la méditation. Parmi d’autres merveilles, les poteries du village burkinabé Tchériba, dont certaines de taille humaine rappellent des fours géants. Quant aux tissus dont l’Afrique de l’Ouest regorge, Saladany expose pour l’instant surtout du Faso Dan Fani (le coton burkinabé tissé à la main) et, nouvel arrivage, un tissu multicolore nommé Kokododan, réputé pour avoir pendant longtemps été la marque des plus démunis, avant que le styliste burkinabé Sébastien Bazemo ne lui donne le vent en poupe avec une collection restée énigmatique.

La vitrine est également peuplée d’inhabituelles boucles d’oreille en os, et bien sûr des boucles, bracelets et bagues touareg. « On a travaillé avec des touareg du Niger, mais c’est devenu trop compliqué au niveau logistique, » explique Serge. « En général, la logistique est un vrai challenge », soupire Sara. « La voie la plus sûre et la plus rapide est celle par avion, mais c’est cher. En fonction du facteur temps et du volume, nous alternons avec la poste ou le container en bateau ».

La pièce maîtresse de la collection actuelle est sans doute le lit Sénoufo (de Côte d’Ivoire) en bois, qui pourrait faire le cœur d’un salon de psychanalyste mais peut aussi être utilisé comme table basse. Le tabouret qui l’accompagne, aux finitions subtilement imparfaites, cherchera son égal. Derrière, les nombreux objets en métal recyclés sont probablement parmi les trouvailles touristiques les plus communes, mais certaines des œuvres ici exposées sont surprenantes, telles que les lampes, les porte-manteaux faits de.

Les tisanes sur le comptoir incluent la poudre de moringa burkinabé, plante d’origine indienne aux vertus anti-oxydants confirmées, le Kinkéliba ou « tisane de longue vie », le gingembre et le bissap (hibiscus), si typiques pour l’Afrique de l’Ouest. On ajoute encore des livres, comptines pour enfants, œuvres d’histoire de l’art ou littérature dont Bleus invisibles de Pascale Zaourou, citoyenne luxembourgeoise et autrice du guide pratique Le Luxembourg pas cher.

Béatrice Dissi
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