Depuis 2016, la biennale De Mains de Maîtres expose et récompense des artisans exerçant au Luxembourg et dans la Grande Région. Parmi les quelque 75 artisans sélectionnés pour sa quatrième édition, Joëlle Adam (dite « Joey ») a été la première à remporter à la fois le Prix du Jury et le Prix du Public. On aperçoit les trophées au milieu de sa table de travail, dans le salon qui lui sert d’atelier dans sa maison d’Hesperange. Les prix semblent un peu perdus entre mosaïques, sculptures, pistolet à colle et sachets de billes thermoplastique, matériaux à la base des corsets qui lui ont valu ses récompenses. « Grand Palais » s’inspire de l’édifice parisien avec ses effets cuivre et ses rivets, « Mélusine » et sa forme rappelant un coquillage est un clin d’œil à la légendaire sirène de l’Alzette, tandis que son corset « Roses » est une référence à la fameuse variété luxembourgeoise. « Je suis très heureuse d’avoir reçu ces prix, si ça m’ouvre des portes tant mieux mais je ne vais pas changer ma façon de vivre à cinquante ans passés » souffle-t-elle.
Passionnée d’histoire, de théâtre, d’opéra et de fantasy, Joëlle se destinait à une carrière artistique pure et dure. Après des études en arts graphiques au Lycée des Arts et Métiers de Luxembourg, elle passe une année à Florence pour étudier les costumes et accessoires pour le théâtre et le cinéma, mais « la vie » lui fait prendre un autre chemin. Elle se marie, rentre au Luxembourg, prend un travail dans une banque et fait des enfants. « Mais je n’ai jamais cessé d’être créative » rappelle celle qui se définit comme une autodidacte et une artiste « en dehors du circuit », pas être très à l’aise pour se vendre et se frayer une voie dans le monde artistique traditionnel. À côté de son travail pour la Fédération du Sport Cycliste Luxembourgeois, elle mène des ateliers pour l’association Art à l’école, initiant les enfants aux multiples pratiques qu’elle a développées. Chez elle, on aperçoit des portraits hyper-réalistes, des céramiques, des costumes, des marionnettes articulées et des peluches de dragons... Elle réalise des tenues pour des fêtes médiévales ou à l’occasion du festival Anno 1900, organisé au Fond de Gras et dédié au steampunk, cet univers rétro-futuriste parallèle à la période victorienne. On retrouve le travail de Joëlle jusqu’aux États-Unis, où une jeune femme de Saint-Louis, Missouri, arbore ses marionnettes et commercialise ses poupées-dragons.
L’une de ses plus belles histoires est directement liée à celle des corsets qui lui ont valu la reconnaissance de l’establishment artistique luxembourgeois. Comme souvent, celle-ci est née d’un concours de circonstances : l’un de ses fils trouve un job de serveur au cabaret le Barnum à Redange, connu pour ses spectacles de drag-queens. Immédiatement séduite par cet univers exubérant et coloré, Joëlle se lie d’amitié avec Ian Lejeune alias Madame Yoko, le co-créateur du lieu, qui devient « sa » drag-queen. « C’est ma copine et ma muse, qui me donne mille idées à l’heure, sourit l’artiste. Nous n’avons pas de relation commerciale : c’est une collaboration artistique ». Ses corsets, faits sur-mesure pour Madame Yoko, sont donc avant tout destinés à la scène. Dernièrement, Joëlle a créé une robe aux teintes orangées, recouverte de papillons et de milliers de strass. « Pour moi, la seule différence entre le théâtre et les shows de drag-queens, c’est dix centimètres de talons et un peu plus de paillettes ! » rigole Joëlle. Dans le couloir, soigneusement protégée sous une bâche, une impressionnante robe de bal vert émeraude attend d’être portée pour un événement exceptionnel.
Joëlle Adam explique ne pas compter ses heures, entre les collaborations, les commandes, ses deux autres métiers, et sa vie de famille. Après nous avoir raconté son parcours et fait découvrir son univers, à la table de la cuisine, la hespereangeoise confie une certaine frustration, et des interrogations : « Je me demande toujours jusqu’où je pourrais aller si je me consacrais uniquement à l’art, glisse-t-elle. Il faudrait que je puisse adapter mon travail à la demande, et puis choisir une direction : les costumes, la céramique, les portraits ? Ou bien la mosaïque ? On m’a dit que j’étais très douée pour cela ». Sous une lampe, on admire une mosaïque en cours de création pour la maison d’un ami, avec l’inscription « L’Aventure est de l’autre côté »... On souhaite à Joëlle de réussir à passer définitivement de l’autre côté du miroir, et de faire de ses rêves une réalité à part entière.