L’Europe investit dans la production de voitures électriques. Simultanément la « pile à combustible » revendique sa part

Le blues des constructeursa

d'Lëtzebuerger Land vom 19.01.2024

En ce début d’année 2024, les constructeurs de véhicules électriques qui, à l’exception de Tesla, sont aussi ceux qui fabriquent des voitures thermiques, ont le blues. Tandis que le marché marque le pas en Europe et aux États-Unis, les lourds investissements consentis pour produire des batteries pourraient être remis en cause par l’irruption d’une nouvelle technologie.

En Europe, les ventes de voitures électriques ne cessent d’augmenter, mais à un rythme désormais inférieur à celui du marché global, de sorte que leur part de marché a chuté de six points entre août et décembre 2023, tombant au-dessous de la barre des quinze pour cent en fin d’année.

L’exemple de l’Allemagne, premier marché européen, a montré que la demande était très dépendante des bonus écologiques, parfois très élevés : en France ils peuvent atteindre 7 000 euros par achat, ce qui permet dans ce pays de compenser à hauteur de 44 pour cent le surcoût moyen d’une voiture électrique par rapport à son équivalent thermique. La suppression de ces aides très coûteuses pour les finances publiques peut avoir des effets délétères sur le marché : en Allemagne, on a constaté une baisse de 39 pour cent des nouvelles immatriculations de véhicules électriques et hybrides en novembre 2023 par rapport au même mois l’année précédente, et de 58 pour cent en décembre ! Ces chiffres incluent les ventes aux entreprises, très friandes de voitures légères et d’utilitaires roulant à l’électrique, ce qui donne à penser que le marché des particuliers est encore plus affecté.

Dans la « chaîne de valeur » de la voiture électrique, l’élément le plus important est la batterie. Elle pèse quelque quarante pour cent du prix de vente. Certains constructeurs tentent de maîtriser ce chaînon essentiel en fabriquant eux-mêmes les batteries, à l’image de Tesla avec sa « gigafactory » inaugurée en 2016 dans le Nevada (elle n’assure toutefois que l’assemblage final, sur la base de cellules développées et produites par des fournisseurs tels que Panasonic et LG). Compte tenu du montant des investissements à réaliser, des partenariats ont vu le jour. Un des plus importants est représenté par ACC, une société constituée à parts égales par Stellantis (Peugeot-Citroën Fiat-Chrysler), Mercedes et Total Energies. Lʹalliance se veut l’« Airbus de la batterie ».

Le 30 mai 2023 a été inaugurée dans le nord de la France une gigantesque usine de 660 mètres de long et 35 m de haut (un immeuble de 12 étages), sur un espace de 34 hectares. Le projet a coûté deux milliards d’euros, financés à hauteur de 46 pour cent par des aides publiques. La production devrait atteindre 500 000 batteries par an avant 2030, avec 2 000 salariés. Deux autres usines sont prévues, en Allemagne sur le site d’une ancienne chaîne de construction Opel, et en Italie (ex-usine de moteurs Fiat), avec à peu près les mêmes capacités de production. Renault va ouvrir sa propre usine avec le groupe chinois AESC-Envision en 2024, également dans le nord de la France. De son côté, le groupe Volkswagen, a annoncé début 2023 son intention d’investir 180 milliards d’euros sur cinq ans, la majeure partie de cette somme étant réservée à la fabrication de ses propres batteries, dans six usines. Ailleurs dans le monde, Nissan offre un autre exemple de constructeur développant ses propres batteries.

La multiplication des sites de fabrication du type gigafactories, par des constructeurs ou par des équipementiers spécialisés fait craindre une surproduction de batteries, même si les prévisions de ventes de véhicules électriques se réalisent (on attend 20,6 millions de ventes en 2025 soit une part de marché de 23 pour cent).

Les inquiétudes sont d’autant plus grandes qu’une technologie déjà évoquée dans les années 90, notamment par Mercedes, repointe le bout de son nez avec des conséquences potentiellement très déstabilisatrices : la « pile à combustible » (en pratique, un moteur à hydrogène). Comme avec une batterie, le véhicule équipé n’émet pas de CO2 et fonctionne silencieusement. Mais l’utilisation d’une pile présente des avantages beaucoup plus importants, dans la mesure où la voiture produit l’électricité à bord, au lieu qu’elle soit stockée dans une batterie. L’autonomie est supérieure (près de 700 km pour la Hyundai Nexo ou la Toyota Mirai, jusqu’à mille km pour les voitures qui sortiront dans les 18 mois à venir). Le ravitaillement est rapide, comme pour un plein d’essence, contre vingt à trente minutes pour un chargement de batteries. Deux autres arguments sont déterminants : l’absence de batteries allège considérablement la voiture, lui offrant un rendement énergétique beaucoup plus favorable, et un moteur à hydrogène pourra bientôt être adapté sur des véhicules thermiques.

La pile à combustible souffre néanmoins de gros handicaps : le manque de stations de ravitaillement, et le prix de vente très élevé. La Mirai et la Nexo coûtent ainsi deux fois plus cher que leurs équivalents en hybride rechargeable, de sorte que leurs ventes sont restées confidentielles. Mais ces obstacles, qui existaient aussi pour les voitures à batteries, peuvent être surmontés. D’ailleurs tous les constructeurs travaillent sur la question, à l’exception notable de Volkswagen dont le président du directoire Herbert Diess a déclaré que « les voitures à pile à combustible ne sont pas la réponse ». La particularité de leurs projets est qu’ils portent principalement sur les utilitaires ou sur des voitures légères à usage professionnel.

Chez Stellantis une deuxième génération de piles à combustible à hydrogène équipera mi-2024 toute une gamme de fourgonnettes de taille moyenne, leur offrant une autonomie de 400 km, un record pour cette catégorie. En fin d’année cette propulsion s’étendra aux grandes fourgonnettes avec une autonomie allant jusqu’à 500 km et un temps de recharge de cinq minutes.

Sous la marque Hyvia, sa co-entreprise avec l’américain Plug, Renault propose plusieurs versions « hydrogène » de son célèbre fourgon Master. Et à Paris la flotte des taxis Hype sera bientôt composée de 600 Toyota Mirai 2, en partenariat avec Air Liquide qui va créer dix stations de ravitaillement dans la région parisienne, pour un coût unitaire d’un million d’euros.

Cette technologie va-t-elle s’étendre au marché des voitures particulières et rendre obsolètes les batteries, au risque de voir plusieurs milliards d’euros d’investissements devenir sans objet ? Les experts ne le pensent pas. Selon ceux du magazine l’Auto-Journal, les deux formules sont appelées à cohabiter. Les batteries, dont la technologie évolue constamment et dont les prix baissent, conviennent bien aux petites citadines et aux voitures moyennes. Pour les véhicules utilitaires légers, les bus et les autocars, mais aussi les camions, la pile à hydrogène paraît à terme la solution la plus pertinente. Elle pourrait aussi s’appliquer à certains véhicules particuliers « lourds » comme les grosses berlines et limousines, les SUV et les monospaces, à mesure que les prix baisseront et que les stations de ravitaillement ne se limiteront plus aux grands axes de circulation.

Plateau américain

Aux États-Unis, pays d’origine de Tesla, pionnier de la voiture électrique grand public, le cap du million de véhicules cent pour cent électriques vendus a été franchi en 2023. Le marché a progressé de 25 à 30 pour cent, mais il avait doublé chacune des deux années précédentes. Et le total des ventes de véhicules électriques et hybrides reste inférieur à 20 pour cent du total.

Bien que plus accessibles (le prix moyen est passé de 65 000 dollars en 2022 à 50 000 dollars en 2023) et bénéficiant d’importantes incitations financières grâce au plan Biden, les voitures électriques peinent à convaincre les acheteurs, de sorte que 60 pour cent d’entre eux pensent que leur prochain véhicule ne sera sans doute pas électrique.

En cause l’appétence des Américains pour les gros véhicules type pick-up, avec des batteries plus lourdes qui renchérissent le prix de vente. Autre inquiétude dans un pays où les distances sont importantes, la faible autonomie des batteries et le manque de bornes de rechargement, qui préoccupe les trois-quarts des sondés.

Les stocks de voitures électriques ont crû de 500 pour cent en un an et la durée moyenne de stockage est passée à 82 jours contre 64 jours pour les équivalents diesel ou essence. Dans ces conditions, l’objectif de Joe Biden d’atteindre une part de marché de 50 pour cent en 2030 pour les voitures électriques est d’ores et déjà compromis.

Georges Canto
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