Coup d’envoi à l’arme à feu. Un spot s’écrase sur un gazon de terrain de foot reconstitué dans le studio du Grand Théâtre. Uwe – on comprend vite qu’il s’agit d’un ancien joueur de foot professionnel, en survêtement –, entre armé, avec un sac de sport plein de billets et une femme, transie de peur, qui sera dans un premier temps, son otage. Dans Spiel ohne Ball (Jeu sans ballon) d’Albert Ostermaier, le personnage d’Uwe n’a plus rien à perdre : sa carrière est bel et bien foutue, sa vie personnelle, il ne l’évoquera guère et les flashbacks d’un autre temps indiquent une enfance profondément douloureuse qui distille encore son venin. Et puis son cancer, où tous l’ont laissé à l’abandon. Tous.
Devant le public du Grand Théâtre se tient Jimmy Hartwig, ancienne star du foot allemand, l’ancien du HSV, joueur de l’équipe nationale allemande en 1979, fils d’un GI et ancien malade du cancer. Un homme qui a vécu, un homme qui s’est reconverti et que l’on retrouve aussi bien sur les plateaux télé, en littérature qu’au théâtre. Une bête de scène, penserait-on. Pas tout à fait. Pendant pile une heure, il porte son monologue, tout en retenue, mais avec force naturelle, mêlant ses souvenirs d’ancien défenseur à ses réflexions sur ce qu’est la société, le pouvoir de la Fifa, « ancien pouvoir colonial », nous balance-t-il (« Blatter, il te tend la balle et toi tu crois que c’est le ballon ») et puis aussi le secret bancaire luxembourgeois. On sent qu’il ne s’agit pas d’un homme de théâtre à part entière, mais son authenticité ne permet à aucun moment de douter du personnage. Bien dirigé, en douceur, notamment par Frank Feitler lui-même, Hartwig recrée ce qu’il y a de plus touchant au théâtre, cette relation amoureuse à trois : les comédiens, le texte et le public.
Dans un texte allemand, très pop, incisif, autour du champ lexical footballistique, souvent drôle, l’auteur, Albert Ostermaier, déjà habitué des planches luxembourgeoises (avec son précédent Schwarze Sonne scheine en 2012) a surtout puisé dans la biographie de Jimmy Hartwig lui-même pour mieux le faire intervenir, il y mêle sa propre perception d’un monde impitoyable et il place l’histoire dans le contexte pour s’en servir directement – ici, chez nous, au Luxembourg : « ce pays-boîte aux lettres avec une autoroute par-dessus ». Ce que l’auteur voit surtout ici sont les habitants, il les apprécie pour leur étrangeté, mais curieusement aussi pour leur décontraction et leur ouverture d’esprit.
Et puis ce couple preneur d’otage et otage fonctionne à merveille. Sylvia Camarda qui ne dit pas un seul mot, incarne parfaitement cette petite nana, remplie de toutes sortes de préjugés, et qui se laisse étouffer par ceux-ci, qui défaille, mais qui dans l’écoute, peu à peu se réveille à la réalité d’un homme, à son désespoir de vie gâchée. Elle lui a tendu un miroir, pour que sur la fin, au moins, il puisse s’y voir vraiment. Bien que cerné par une certaine dose de violence verbale et parfois physique (quand Uwe balance le corps de son otage dans tous les sens, par exemple, sans doute pour qu’elle parvienne encore mieux à s’identifier à lui), une douceur immanquable émane de ce couple improbable qui se mue lentement vers un état presque passionnel, peut-être même à l’instar d’un King Kong et de sa Jessica Lange, en haut de la tour. En somme, un coup d’essai très bien transformé.