Les utilisateurs de matériel informatique connaissent le dilemme devant lequel ils se trouvent à chaque fois qu’ils reçoivent une notification d’actualiser le système d’exploitation de leur ordinateur, tablette ou téléphone portable. Faut-il appuyer oui ou non ? Le nouveau système, mettent alors en garde les experts, risque de ne plus supporter les anciennes versions des logiciels installés sur la machine. Ce qui impliquerait qu’il faudrait aussi actualiser les logiciels, acheter des licences, des abonnements. Appuyer sur non fera que le vieux système d’exploitation ne supportera plus les nouvelles applications. D’une façon ou d’une autre, une avalanche d’ennuis s’annonce.
Cette modernisation imposée par les obsolescences programmées pourrait être une métaphore du Luxembourg actuel : le gouvernement a appuyé sur « update system now », parce que les infrastructures étaient vétustes et que les défis d’une croissance économique et démographique exponentielles imposaient une augmentation de la puissance de l’État. Depuis, les effets néfastes se font violemment ressentir dans la vie quotidienne des gens : poussés à s’exiler à la périphérie par la force centrifuge d’un marché immobilier en surchauffe, ils passent leur journée dans un trafic infernal, freiné par les nombreux chantiers (des routes, du rail, du tram, des réseaux souterrains, de la fibre optique, des gares, des ponts ou des nouveaux quartiers). Lundi à la Chambre des députés, le ministre des Finances Pierre Gramegna (DP) a promis que ce n’était qu’un mauvais moment à passer, que ce gouvernement de fonceurs avait les choses en main, qu’il fallait viser un horizon plus lointain, qui sera meilleur, notamment grâce à une politique d’investissements très courageuse. 2,8 milliards d’euros, soit quatorze pour cent des dépenses, vont dans les grands projets.
Or, ces investissements ne sont guère reluisants. Pas de nouveaus musées, pas de monuments, pas de bâtiments bling-blig à la gloire de la conjoncture florissante de ce tournant de décennie. L’argent va avant tout dans les réseaux – des routes en passant par le train jusqu’à l’introduction de la 5G – et dans la politique sociale, familiale ou d’aide au logement, dans l’enseignement et la défense. Tout cela dans une logique de « l’et-et-isme » très macronien. Les trois cœurs dans la poitrine du gouvenement libéral, socialiste et écolo sont servis à parts égales, pas besoin de faire des choix. La croissance des finances publiques est là pour soutenir toutes les ambitions (voir page 2).
Cette ambiversion (en psychologie : ni l’un ni l’autre, capacité d’adaptation) s’exprime dans les chiffres : 251 millions d’euros seront investis en 2020 dans les infrastructures ferroviaires via le Fonds du rail, le chantier du tram coûtera 54 millions d’euros et 981 millions vont dans l’exploitation des transports en commun (une augmentation de cent millions), que ce soit via routes ou via rail. L’introduction, au 1er mars, de la gratuité de ces transports pour les usagers coûtera trente millions supplémentaires à l’État en 2020, quarante millions annuels pour douze mois à partir de 2021 (autant que la dotation étatique pour la production audiovisuelle). Une mesure que Pierre Gramegna qualifie au moins autant de mesure sociale (selon le Statec, les ménages économiseront ainsi jusqu’à 390 euros par an) que de mesure pour le climat. Or, cette même étude du Statec publiée en août avait prouvé que seuls quarante pour cent des ménages ont recours aux transports en commun, les autre soixante pour cent se déplaçant en voiture individuelle. Pour eux, le gouvernement promeut l’électromobilité en promettant 800 bornes de charges publiques (financées par les consommateurs) ou la mise en œuvre d’une infrastructure de charge rapide ou ultra-rapide sur les aires de services. Le projet de budget s’enthousiasme, dans sa préambule, pour la transition écologique vers les énergies renouvelables (onze pour cent en 2020, jusqu’à un quart en 2030), pour l’éco-urbanisme, la construction durable et l’économie circulaire. Vingt pour cent de tous les imvestissements ou 502 millions d’euros sont affichés dans l’intérêt de la protection de l’environnement et du climat.
L’année dernière, 4 875 femmes et 4 721 hommes ont pris le congé parental, soit un équilibre entre les sexes obtenu grâce à la réforme du système sous la précédente législature, augmentant le dédommagement financier du parent qui reste à la maison. En 2020, cette importante réforme engendrera des frais de 243 millions d’euros. En comparaison, l’agence Spaceresources.lu, qui vise à développer le space minining futuriste, recevra 200 millions d’euros de la part de l’État et la seule introduction du réseau 5G vaut huit millions d’euros. Afin de pouvoir accélérer les grands projets de construction étatiques, comme ceux de logements à Wiltz, à Dudelange ou à Olm (via le Fonds du logement et la SNHBM) et avoir plus de flexibilité dans l’augmentation de l’offre de logements ou les aides au logement, une vingtaine d’articles budgétaires concernant le domaine seront regroupés dans un futur Fonds spécial de soutien au développement du logement, qui sera créé via une loi spéciale.
« Le Luxembourg est déjà aujourd’hui un État à 800 000 habitants en journée, expliqua le ministre des Finances lundi, mais la fonction publique ne correspond qu’à 600 000 habitants ». C’est pourquoi il promet la création de 1 830 postes dans l’adminisitration publique, surtout des policiers, des surveillants pour l’administration pénitentiaire (e.a. la nouvelle prison d’Uersch-
terhaff à Sanem, voir page 6) et des enseignants. Mais ces promesses maximalistes sont récurrentes, alors que l’État connaît toujours autant de problèmes de recrutement.
Le Statec prévoit une croissance de la population de deux pour cent en moyenne jusqu’à atteindre 678 000 habitants en 2023. Il constate en même temps « la dégradation des perspectives internationales », met en garde qu’« il ne faut pas douter que l’économie luxembourgeoise ait dépassé le sommet du cycle » conjoncturel (p. 16*), et promet qu’à partir de 2020 « il y aura un retour de bâton » (p.17*). Face aux incertitudes de la situation géopolitique mondiale, le Luxembourg continue son « effort de défense » qui atteindra 0,6 pour cent du PIB en 2020 (notamment grâce à la prise en compte comptable des 200 millions investis dans l’avion militaire A400M ou l’acquisition d’hélicoptères H145M). Ce pourcentage augmentera jusqu’à 0,72 pour cent du PIB en 2023, par exemple via le lancement d’un satellite d’observation militaire en 2022. En comparaison : le budget réservé à la culture atteint cette année 0,73 pour cent du PIB.