Dans la charmante rue des jardins, à Metz, une galerie d’art contemporain a pris ses quartiers aux abords de la cathédrale. Depuis sa création il y a trois ans, la Galerie PJ multiplie les expositions pointues et singulières, faisant dialoguer des artistes femmes (Marie France Uzac & LeeFu, par exemple) ou donnant place à des plasticiens sud-coréens complètement inconnus en France, comme le photographe Dae soo Kim ou, plus récemment, Junhwan Yeo. La galerie PJ fait partie des galeries retenues pour la prochaine édition de la Luxembourg Art Week. Ses deux fondateurs et complices, Pierre et Ji Sun, dévoilent jusqu’au 25 novembre 2023 l’œuvre rare de Michel Thein à l’occasion d’une exposition intitulée Malupda, comme une invitation à parcourir un territoire inconnu. Né en 1956, Michel Thein réside dans la vallée de la Fensch, à Algrange, ancien fief de la sidérurgie lorraine. Graveur et sculpteur avant tout (il débute dans les années 1980 à la pointe sèche et au burin), il explore dans ses derniers travaux les joies de la planéité, des couleurs et de la dissymétrie dans ce qu’il nomme ses « planographies ».
Qu’est-ce qu’une planographie ? se demande-t-on alors. L’artiste, qui en a inventé le mot, le définit comme un « espace aléatoire ouvert afocal ». Soit le contraire de la cartographie en somme, qui est faite pour se repérer, localiser, etc. Or les toiles de grand format qui recouvrent l’espace élégant de la rue des jardins déconcertent. Car elles ne représentent rien de particulier, ni ne véhiculent le moindre récit, rompant ainsi avec la tradition figurative-narrative occidentale. L’effet optique qui résulte pourtant de ces centaines de carrés alignés est assuré, puissant, hypnotique ; on songe à première vue à l’artiste Invader, dont les motifs inspirés de l’esthétique pixellisée des premiers jeux vidéo recouvrent les murs de Paris. Sauf que les canevas de Thein sont peints à la main, minutieusement, et ne renvoient à rien d’autre qu’à eux-mêmes, à leur propre mystère ontologique. Ces particules ne désignent personne, ni même ne représentent quelque chose d’identifiable, contrairement à ce que Invader accomplit dans l’espace public. Aussi, les étranges toiles de Michel Thein ne traduisent aucun regard, aucun point de vue particulier sur le monde. Voilà pourquoi les planographies de Michel Thein sont qualifiées d’« aléatoires, ouvertes et afocales ». Il en précise le propos plus avant : la planographie est « du temps devenu espace » ; celui-ci est aléatoire, parce que « non défini par avance (effet du hasard) » ; il ajoute enfin : « Ouvert : élimination du sujet » et « Afocal : système optique dont les foyers sont rejetés à l’infini. » Si les toiles de Thein semblent jouer le jeu de la symétrie, au point de rappeler parfois ce qui se fait dans le folklore amérindien ou ukrainien par exemple, c’est toujours pour s’en détourner subtilement, en la rompant à travers quelques touches isolées, briseuses de toute systématisation sérielle et chromatique. L’aléa est créateur de lyrisme, de poésie, d’unicité, se distinguant radicalement de tout rapport au monde de la programmation informatique ou à celui des jeux vidéo.
Aussi ses toiles sont-elles peintes sur tissu de lin, ce qui leur donne une matérialité agréable à la main comme à l’œil. Ce n’est pas un hasard si Michel Thein poursuit ce travail jusque dans les arts appliqués, en l’occurrence les vêtements féminins. Ces motifs faussement géométriques ornent l’étoffe des robes, sont mis en mouvement par le corps humain. On en découvre dans la vitrine de la galerie. L’œuvre singulière de Thein, à voir ou à porter, ne cesse pas d’étonner en tout cas. Elle semble nous venir d’un monde singulièrement autre.