L’odeur entêtante des champs de lavande en fleurs a envahi le rez-de-chaussée du Casino Luxembourg. Sans la couleur violette des champs de Provence, puisque les fleurs recouvrent le sol comme un tapis qui peu à peu devient poussière grise. Mais les murs flamboient de couleurs. Les couleurs de fond des salles (violet jaune et vert) et celles des huiles et gouaches de Tessa Perutz. L’artiste américaine de 35 ans a découvert les paysages européens au cours d’un voyage de quatre années. Le centre d’art lui consacre une exposition monographique au rez-de-chaussée, raffinée et sans qu’on aie à se prendre la tête. Un petit bonheur en ces temps difficiles.
Tessa Perutz est logiquement descendue du nord vers le sud. Tout voyageur qui prend cette direction, sait que la lumière change à partir de la Loire et l’horizon semble s’ouvrir plus on s’approche de la Méditerranée. Une fois passées les Alpes, les teintes sont dorées. Les forêts, présentes partout, sont plus denses et de haute futaie au nord, les roches moussues, de la garrigue émergent les cyprès au sud et les massifs rocailleux.
La montagne de la Sainte-Victoire, au-dessus d’Aix-en-Provence, a été un motif pour Paul Cézanne toute sa vie. Il y naît en 1839 et y meurt en 1906. Les intérieurs et les vues extérieures pour Henri Matisse (1869-1954), depuis son appartement niçois ouvrant sur la Méditerranée, le fascinent à partir de sa 48e année, au point qu’il ne quittera plus la Côte d’Azur. Isabelle’s Hibisucus (Esprit du Roi Soleil) de Tessa Perutz est sans doute un hommage aux intérieurs de Matisse. Son travail en aplats a même en général, un rapport avec les papiers découpés du peintre pour la chapelle de Vence, localité où elle-même a peint plusieurs tableaux : une huile et une gouache et crayon (Shaded Olive Tree in Neutral Tones, Bastide Aux Oliviers, Vence, La France).
How to map the Infinite est le titre général de l’exposition. C’est vrai qu’on imagine bien Tessa Perutz continuer sa cartographie infinie et faire un tour du monde de paysages. Avec des moyens simples : aplats de couleurs dans les peintures à l’huile au pinceau-brosse, fines délimitations, parfois au crayon en ligne droite ou hachuré sur les gouaches. Techniquement peut-être, les œuvres se ressemblent mais en réalité, non.
La haute futaie belge, traversée par un chemin (Path Outside Lavendel Fileds Hasselt #1 et #2) n’a pas les mêmes coloris ni les textures où il s’y mêle du sable que le passage de la frontière direction l’Italie. Sur la route du bord de mer de View of Village at Bordighera Beach (Ciel Violet) et Sunset at Bordighera Beach pastel Tones, il y a encore des maisons. Pas des immeubles mais comme le long de tous les bords de mer, un parking en bitume.
Il y a « La France ». Ces deux mots, « La France », écrits en toutes lettres sur les tableaux, trahissent semble-t-il un goût particulier de Tessa Perutz pour l’Hexagone et surtout sa partie méridionale. Elle a peint à même le mur du Casino, une grande fresque du panorama vu depuis le toit de la Cité radieuse du Corbusier. Imaginaire ? Elle enchâsse la cité phocéenne depuis le Mont Ventoux et la Sainte Victoire aux Îles du Frioul au large de Marseille. Coucher de Soleil à la Cité radieuse (Marseille, La France) pourrait être un carton pour une tapisserie, avec la grosse boule du soleil rouge qui va tomber dans la mer. Tessa Perutz cartographiera-t-elle d’autres infinis ? Une promesse qui ne serait pas que la traduction littérale du titre de l’exposition.
Au premier étage, l’ambiance est différente, déjà parce qu’on voit en noir et blanc. Jérôme Zonder a mis un point d’exclamation au titre Joyeuse Apocalypse !, comme on dit « joyeux Noël ! » ou « joyeuses Pâques ! ». Il semble bien que nous en vivions une actuellement et l’exubérance débordante de Jérôme Zonder (né à paris en 1974, artiste de l’écurie de Nathalie Obaldia). Du sol au plafond, ,il nous fait penser à d’autres périodes où on craignait l’Apocalypse par sa « manière ». Vers quel futur allons-nous, interroge Jérôme Zonder, dans un univers saturé, qui tient du carnaval, de la danse macabre et pour ceux qui ne craignent pas les fêtes commerciales d’importation, Halloween. Le personnage principal est ici Pierre-François, frère de Garance et de Baptiste, fratrie née aux environs de l’an 2000 et appartenant donc à la génération Z.
La partie de la trilogie présentée au Casino est une Étude pour un portrait de Pierre-François #121 dont onze morceaux de la silhouette qui constitue le personnage entier, accueillent le visiteur en haut de l’escalier. Ce n’est pas une décomposition en 3D mais une suite de morceaux que l’on parcourt, lisant au revers des phrases du quotidien ou d’un avenir rêvé en or « J’ai deux enfants », « jamais content », « J’ai acheté une villa à Miami » etc. Il est impossible de décrire en quelques phrases ou même en un long article, l’ensemble entièrement développé par Jérôme Zonder in situ au fusain et à la poudre de graphite.
Toujours est-il que Étude pour un portrait de Pierre-François #122, le voit se transformer en personnage de manga, puis en hamster, personnage fictif de la toile à liker après s’être abonné à son compte et en conspirationniste dans le Jeu de l’Oie, composé de 21 dessins sur toile au sol. On conseille fortement aux visiteurs de suivre les parcours comme le propose Zonder, dressant, au fil des combinaisons de chiffres vers un portrait de looser, rien, de gagnant, autant de Pierre-François, bien sûr.
L’exposition est l’occasion de parcourir une BD non pas seulement des yeux sur papier ou sur écran mais en vrai, avec son corps, dans l’espace, peut-être pour la première fois. C’est une danse macabre jouissive. On aurait tort de s’en priver !